Une réflexion nourrie par deux colloques successifs qui se tenaient la semaine dernière, à la Gaîté Lyrique et aux Arts Déco !

textures_540bleuLe premier des deux, intitulé Lecture et culture des adolescents dans un monde qui change, du cross-média au transmédia, était organisé par l’association Lecture Jeunesse en partenariat avec la Gaîté Lyrique. Le second, se jouant sur 3 jours, se tenait alternativement à la BNF et à l’école Nationale des Arts décoratifs et avait pour thème Text/ures : l’objet livre, du papier au numérique.
Mon propos ici n’est pas de faire un compte rendu de ces journées, des restitutions sont certainement prévues, mais plutôt d’utiliser quelques points clés pour réfléchir avec vous à haute voix.
La journée du 18 novembre, d’une remarquable qualité, interrogeait largement sur la question des usages dans un monde qui change. Usage du livre face au numérique, usage du lecteur (de l’usager donc) également, avec comme point d’orgue la lecture, et le lien indissociable entre lecture et écriture ! Celle du 21 présentait plutôt un état de l’art, à un instant T, de certains ouvrages ou typologies d’ouvrages.
Depuis la création de La Souris Qui Raconte, j’ai tout entendu sur le livre et l’édition. Les questions récurrentes (obsessionnelles) sur le devenir de la lecture continuent d’alimenter tous les fantasmes et sa mort annoncée nous joue régulièrement l’arlésienne ! Mais la question n’est-elle pas ailleurs, et ce « monde qui change » entre bel et bien dans les paramètres de réflexion. Prenons comme postulat qu’écriture et lecture sont intimement liées et interrogeons-nous sur la désacralisation de la première, et ses conséquences ! Yann Leroux nous le disait ici, et ce fut un axiome fort des échanges à la Gaîté Lyrique, l’auteur est descendu de son piédestal. On le rencontre, on communique avec lui, il vous informe de son actualité… Tout le monde écrit ! Certains éditeurs recrutent sur le web ! L’écriture n’est plus réservée à une élite à l’instar de la musique ou de la cuisine (pour preuve les Nouvelle Star et autre Chef Pâtissier).

La génération Y (née entre 1980 et 2000 —34 ans pour les uns et seulement 14 pour les autres— un grand écart !) change les paradigmes de l’édition. Réservée jusqu’alors aux « professionnels » du secteur, cette génération crée de nouvelles formes d’écriture et de communication*. Elle zappe entre Facebook et Twitter. Elle poste ses images sur Instagram et ses films sur YouTube. Elle se regroupe en communauté grâce a des réseaux sociaux de plus en plus nombreux et spécialisés. De nouveaux formats émergent également, par l’exploration de narrations visuelles à base de vidéos ou de courts métrages, impliquant de plus en plus le public qui devient alors spect-acteur ! Les nouveaux entrants de l’édition numérique proposent des formats courts, pour une lecture « fractionnable » entre trajets de bus ou de métro et attente dans un cabinet, par exemple. Des expériences de grande ampleur sont menées, avec des œuvres comme Endgame, une super production littéraire made in USA ! La sollicitation du lecteur y est également multiple. Ces changements radicaux de narration bouleversent irrémédiablement les comportements de lecture et d’écriture.

Si je vous raconte tout ça, au-delà de vous faire regretter définitivement de ne pas en avoir été (parce que c’était vraiment vachement bien !), c’est que les interrogations que ces colloques soulèvent, empiètent largement dans mon champ d’intervention. Les premiers prescripteurs acheteurs de la  littérature de jeunesse (celle qui arrive avant la littérature dont il fut question lors de ces journées) sont les parents ou les grands-parents. La génération Y n’est pas encore tout à fait parent. Comble, elle consomme plutôt du gratuit (mais ça c’est juste pour mettre du piment dans mon histoire) ! Les lecteurs potentiels de nos livres arriveraient donc à maturité dans  8-15 ans (lorsque madame et monsieur Y se seront rencontrés et auront mis au monde les premiers exemplaires de la génération suivante dont il faudra encore attendre qu’is atteignent l’âge qui m’intéresse, entre 5 et 10 ans).
N’est-ce pas à la génération Y d’apporter des idées pour créer du contenu pas cher, intelligent, mobile et qui permettent à leurs enfants d’entrer dans une lecture plaisir ? Une narration inédite destinée spécialement à leur progéniture ? Mes parents m’ont donné le goût de la lecture avec Hugo et Balzac. Je ne suis pas sûre que mes petits-enfants les lisent jamais ! Ce sont bien les temps qui changent, et les habitudes de lecture, comme tout le reste, avec !

* voir MediaEntity ; Foliomatic ou le phénomène des booktubers


Hier soir au Cent Quatre à Paris, la bonne humeur de Marie Desplechin fut ma pépite !

Je ne vous rejouerai pas la soirée avec les nominés, puis les finalistes et enfin LA pépite dans les 7 catégories, album, roman ado européen, BD/manga, documentaire, petite enfance, livre d’art et enfin création numérique. Mais (et je vous le donne en mille) je vais faire un arrêt sur image sur la dernière, qui fut servie la première ! La création numérique ! La liste des nominés m’avait déjà laissée un peu perplexe, et je vais m’en expliquer.

Botanicula

Botanicula-3Le grand vainqueur Botanicula, est une application que je n’ai pas encore découverte. Je connaissais Machinarium du même éditeur tchèque, et l’avais adoré en son temps (jeu en Flash avant l’arrivée de l’iPad et des tablettes). Si l’on regarde un peu les nominés de cette pépite, on voit que seulement trois créations sont françaises, et que tous les sujets y sont abordés, où presque ! L’art avec Mudam Go, le jeu avec Botanicula ou Soldats inconnus, le documentaire avec Plantes, on a même un cadavre exquis Miximal (qui me fait drôlement penser à Dans mon rêve de eToiles éditions, mais en moins bien – c’est dit-)… bref un vrai fourre-tout !

Inutile de dire que le choix de cette pépite n’a pas fait l’unanimité au sein de notre petit monde numérique, alors que nous devisions gaiement en fin de soirée ! Oui, Botanicula est poétique, oui c’est graphiquement une véritable « pépite », et tout le monde est d’accord là-dessus, mais je ne suis pas la seule à chercher son rapport avec le livre (et accessoirement la lecture) ! Si un chat est un chat, Botanicula est un jeu (dont la version PC date de 2012), avec tous les ressorts y afférents ! Ce ne sont pas les choix des nominés qui me questionnent ici, tous de très grande qualité, mais plutôt la « classification » de cette pépite, dans laquelle on ne se retrouve plus tant on y mélange livres et jeux, appli et ePub (les deux familles de format numérique). Viendrait-il à l’idée du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de se limiter à une pépite du livre ? Bien sûr que non, tant la diversité induite par cette terminologie est grande. Pourquoi donc mettre dans cette pépite de la création numérique tout ce qui se trouve sur les stores Apple et Google sans aucune différenciation ? De plus, je ne pense pas me tromper lorsque j’avance que nombre de ces pépites numériques ont été choisies par l’équipe du salon, plutôt que soumises par les créateurs eux-mêmes ! De quoi en décourager plus d’un… et de voir se réduire le monde de l’édition numérique française comme peau de chagrin si les instances référantes ne sont pas plus impliquées à la défendre !

Tout le monde ne peut pas gagner, c’est le principe du jeu, mais comme dans tout jeu, c’est mieux avec des règles et celles de cette pépite mériteraient vraiment d’être revues. Peut-être pourrions-nous déjà commencer par les formats. Une pépite pour la création numérique sous forme d’application, et une pépite du livre numérique en format ePub ! Vous en dites quoi le comité de lecture ? Et puis soyez assurés que j’arriverai bien à vous faire d’autres suggestions l’année prochaine !
Dans tous les cas, merci. Merci à l’équipe, merci au salon pour cette promotion faite sans (presque) faillir autour du livre et de la lecture.
Merci aussi à Marie Desplechin pour sa super bonne humeur et son humour. La salle a apprécié. Et enfin merci à Timothée de Fombelle (c’est comme ça pour les remises de prix… alors moi aussi je dis merci) pour son court et émouvant discours. Pépite du roman ado avec Le livre de Perle, c’est avec une belle émotion qu’il nous a cité sa grand-mère, sa première lectrice de 95 ans ! Un Timothée parrain des petits champions de la lecture, que j’ai eu l’honneur de croiser, et dont je vous parlais ici.

Lauréats des pépites


Depuis 30 ans le département de la Seine St Denis œuvre pour son salon. Le SLPJ (Salon du Livre et de la Presse Jeunesse), premier salon du genre en Europe, est LE rendez-vous incontournable de tous les acteurs du livre de jeunesse. J-9 ! Lever de rideau…

Pour la quatrième année consécutive, La Souris Qui Raconte sera présente sur le salon, au Pôle Numérique, niveau 1. Je ne vous cache pas m’être posée la question. J’y vais… j’y vais pas ? J’y vais… pas ? J’y vais… Parce que dans un milieu globalement assez hostile au numérique (flagrant en littérature de jeunesse), la question est légitime. Souvenez-vous :

Salon de Montreuil 2012 - Les _pure-players_ - YouTube

D’autre part, le public qui se rend sur un salon du livre, vient pour y acheter… des livres ! Et notamment en cette période de l’année, proche de Noël, des livres comme cadeaux à mettre sous le sapin ! Avec le numérique c’est compliqué. L’objet livre n’existant pas, il est difficile de vendre des « ebooks ». Pourtant, pendant le salon 2013, le Kenji avait rendu possible l’achat d’applications, grâce à des cartes et les fameux codes promo d’Apple, c’était un début. Cette année, pour prolonger l’expérience, c’est Carte à Lire qui va me permettre de vendre trois des livres LSQR. Pas des applications, mais des ePubs enrichis. Et on va même aller encore plus loin pour permettre au visiteur de retrouver ce qui le fait aussi se déplacer sur ce salon. Les dédicaces !
Trois sont également prévues, autant que les albums LSQR proposés, avec la présence de bien belles personnes !
Le samedi 29 novembre à 12 heures, Séverine Vidal et Claire Fauché viendront dédicacer Conte du haut de mon crâne. L’après-midi à 15 heures, Cathy Dutruch et Juliette Lancien viendront dédicacer la nouveauté de La Souris Qui Raconte Pour tout l’or du monde. Un très bel album qui sortira en carte à lire ET sur le site LSQR le 21 novembre (vendredi prochain) en simultané, une première ! J’adore l’écriture de Cathy (et je ne suis pas la seule). Vous pourrez comme d’habitude découvrir un extrait gratuit de ce tout nouvel album, superbement illustré et richement interactif. Cathy et Juliette s’étaient déjà associées dans un livre poétique et délicat Ogre doux, disponible ici pour le web,  pour iOS et enfin pour Android !
Le dimanche 30 novembre ce sera au tour de Nicolas Gouny de faire le déplacement pour vous, chers lecteurs. Il dédicacera, à partir de 13 heures, Il suffit parfois d’un cygne. Emilie Chazerand devait elle aussi participer à la séance, mais un imprévu en a décidé autrement (et je vais la regretter).
Les dédicaces se feront sur de jolies cartes que vous pourrez soit garder pour vous, soit offrir, soit les deux (soyons fous !). Si vous étiez empêché de venir, tout est prévu. Laissez-nous votre message ici, en précisant votre livre et votre adresse, et nous nous occupons de tout !
Il y aura aussi des affiches à emporter, réalisées par Claire Fauché (édition 2014) ou Nicolas Gouny (édition 2015). Vous pourrez repartir avec l’une ou l’autre, ou les deux si vous le demandez très gentiment !

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Et puis comme je vous l’expliquais ici, en bon observateur élu d’un évènement particulièrement notable, j’essaierai de vous retranscrire les informations que je glanerai ça et là sur le salon avec par exemple la Pépite de la Création Numérique qui sera remise le 18 novembre au Cent Quatre à Paris sous le parrainage de Marie Desplechin et Gilles Bachelet. Ou encore avec la conférence du vendredi 28 novembre From paper to screen qui devrait faire un prolongement intéressant à l’interview de Yann Leroux, sans oublier la journée pro du lundi au Mïce, où eToiles éditions, l’Apprimerie et La Souris Qui Raconte présenteront leurs nouveautés, très ePub3 enrichi ! Et puis il y aura certainement plein d’autres découvertes à partager. Haut les cœurs !!!


14 | 11
2014

… et pas n’importe lequel puisqu’aujourd’hui, après notre orthophoniste experte, c’est Yann Leroux qui a accepté de répondre à mes questions. Un grand merci à lui !

Pour information cette interview s’est faite par téléphone.
Initialement, j’aurais aimé joindre l’enregistrement de nos échanges, mais sa trop mauvaise qualité m’en a dissuadée. Enfin, question de savoir avec qui on parle (pour les rares qui ne sauraient pas), j’ai trouvé sur France inter, une biographie synthétique de notre expert du jour.
« Psychanalyste, Yann Leroux s’intéresse aux mutations induites par le réseau internet et aux nouveaux modes de relation de soi à soi et de soi aux autres qui en émergent. Il explore les mondes numériques, attentif aux transformations et aux nouvelles possibilités qu’offre le réseau.  Il est aussi spécialisé dans les jeux vidéo. »

J’ajoute, avant de rentrer dans le vif du sujet, que le vendredi 28 novembre se tiendra au Salon du livre de Montreuil une rencontre professionnelle intitulée « From Paper to screen » avec deux tables rondes dont les sujets sont parfaitement raccords avec nos échanges. La première abordera la question des mécaniques narratives dans les univers ludiques « Arts du Récit : que peut nous apprendre le jeu vidéo ? ». Et la seconde « La pédagogie à l’école du jeu » s’intéressera aux serious games et autres propositions ludo-éducatives. J’espère avoir l’occasion de revenir dessus.

Les jeux vidéo, ça rend pas idiotMaintenant, à nous deux Monsieur Leroux !

Si La Souris Qui Raconte est loin de votre expertise, votre passage ici n’est pour autant pas hors sujet. Lorsque j’ai imaginé la création de La Souris Qui Raconte, j’avais en tête de proposer aux parents, une alternative culturelle aux jeux. De votre côté vous écrivez que « Les jeux ça rend pas idiot », comme si les deux média ne pouvaient coexister et qu’il faille, chacun de son côté, en justifier l’importance.

Totalement inculte en matière de jeux vidéo, et ne pouvant que constater son emprise sur les jeunes au détriment de la lecture, je me demande si la concurrence qu’exerce l’une sur l’autre existe « vraiment »  ou bien si elle le fruit de mon ignorance ?

Ce n’est pas une question d’ignorance ! Il est évident que plus l’on joue aux jeux vidéos moins on a de temps pour faire autre chose. Si l’on joue beaucoup aux jeux vidéo, on a moins de temps pour faire du vélo, on a moins de temps pour faire des bêtises, on a moins de temps pour lire la Comtesse de Ségur dans la collection Rouge et Or. Cela dit il faut aussi prendre en compte que les jeux vidéo ne sont pas uniquement des images qui se présentent à l’écran. En fonction des jeux, les enfants ont à lire des choses. Un jeu comme Pokémon par exemple comporte des blocs de textes et l’enfant doit lire ces blocs de texte pour progresser dans le jeu. Ce que les jeux vidéo savent faire de très intelligent c’est qu’il est possible de progresser dans le jeu sans porter une trop grande attention au texte. On peut avoir du plaisir à jouer sans lire l’histoire de Pokémon, mais si on lit le texte, le plaisir de jouer est encore plus grand. Ça marche comme une pyramide !

Best-Pokemon-Wallpapers

Ne croyez-vous pas que le temps passé à jouer ne détourne le lecteur potentiel d’un certain enrichissement culturel ? Qu’en est-il de la pratique de la lecture  dans ce contexte ?

Le travail des enfants d’aujourd’hui est plus complexe que celui que nous avions à faire. Lorsque l’on était petit vous et moi, le travail que l’on avait à faire était un travail d’apprentissage de la lecture. On apprenait à lire, ensuite on apprenait à goûter des livres, à aimer certains types de livres à en détester d’autres, à pouvoir en faire un commentaire critique, à en discuter avec les copains. Les enfants d’aujourd’hui ont ce travail à faire aussi, c’est pas parce qu’il y a des jeux vidéo que le livre est mort, le livre reste et restera encore, ils ont donc à faire ce travail là, et en plus ils ont à faire un travail similaire avec les medias numériques. Ce que les parents peuvent faire, c’est de se servir des jeux vidéo comme tremplin pour aller vers la lecture. Si un enfant est fan des Pokémon sur sa Nintendo DS il faut lui acheter des livres qui parlent des Pokémon, l’encyclopédie des Pokémon… ainsi l’enfant partira des jeux vidéo et ira vers le livre.
Ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui, il y a deux types de compétences que les enfants doivent apprendre. Ils doivent apprendre les compétences littéraires de base et ce qu’on appelle les littératies numériques. C’est à dire comment on manipule les objets numériques,  comment être à l’aise avec la culture numérique, comment trier les informations, les hiérarchiser, etc. Il ne faut pas les mettre en opposition, ce sont des emboîtements, il faut d’abord mettre en place le socle de la lecture parce qu’un jeu vidéo ça se lit, une image se lit aussi, et puis là-dessus construire les compétences numériques.

Si l’on parle couramment de l’addiction au jeu, c’est un « diagnostic » assez rare pour la lecture. Pourquoi dérange-t-elle dans un cas et pas dans l’autre ?

Il est nécessaire de faire un peu de pédagogie là ! En fait c’est comme une espèce de delta ou la psychologie populaire rencontre la psychologie scientifique. C’est très beau les deltas, il y a des mangroves, c’est formidable, il y a plein de petites bestioles, mais on n’y voit pas très clair ! L’addiction au jeu vidéo existe dans la culture populaire, dans la psychologie populaire, en aucun cas elle n’existe dans la psychologie scientifique. Même dans les textes de psychologues, certains vont parler d’accros, d’addicts, etc., ce sont des mots qu’on ne trouve pas dans un dictionnaire de psychologie. Dans un dictionnaire de psychologie vous trouvez addiction mais vous ne trouvez pas « être accro » à quoi que ce soit.
Je ne suis pas du tout certain que la passion, puisque c’est de cela dont il s’agit, que certains ont vis-à-vis des jeux vidéo, n’existe pas aussi vis-à-vis des livres. Si je m’en réfère à ma simple expérience, j’ai passé des après-midi entières  plongé dans des Bob Morane, et les tunnels dans lesquels je rentrais étaient exactement les mêmes que les tunnels dans lesquels je suis rentré quand j’ai joué des années plus tard à des jeux vidéo.
La société, ou au moins une partie de la société, regarde d’un très mauvais œil le jeu vidéo et d’un très bon œil les livres.
La même expérience immersive qu’un joueur d’échecs aura (parce que j’ai joué aux échecs aussi, ce sont les mêmes enveloppements, les mêmes fermetures) ou qu’un passionné de lecture aura avec Proust ou SAS sera regardé de façon relativement positive, alors qu’on aura des froncements de sourcils pour quelqu’un qui joue aux jeux vidéo. C’est parce que la société a construit les jeux vidéo comme nécessairement problématiques. Mais ça ne reste qu’une construction sociale !

Vous dites que les jeux sont une manière d’apprivoiser le futur. Comment ?

Je pense que les jeux vidéo nous ont aidés à apprivoiser tout un ensemble de choses qui sont utiles pour le futur. En premier lieu, ça vous met en contact avec des machines. C’était peut-être plus apparent au début des jeux vidéo parce que les machines avec lesquelles on jouait étaient tout sauf sexy. Il fallait vraiment s’en approcher, apprendre à interagir et à communiquer avec elles, parce qu’elles n’étaient pas faites pour jouer. Maintenant c’est un peu différent. Ça a toujours cette fonction je pense, parce que de façon évidente nous serons de plus en plus confrontés à des machines dans notre environnement quotidien, qu’il s’agisse du travail ou du divertissement. Ces machines vont être des machines physiques comme les iPhone que l’on trimbale dans nos poches et dans nos sacs, ça va être aussi des machines logicielles, des robots. On voit passer des publicités, on les entend à la radio ou à la télé, on entend une dame qui appelle son robot pour lui demander de modifier la température de son appartement pour sept heures du soir. Ces robots seront courants je pense dans quelques temps. Ces machines à l’intelligence artificielle on les croise dans les jeux vidéo. On apprend à communiquer avec elles, on apprend leurs limites. Je pense que quelqu’un qui aura eu l’habitude de discuter avec les intelligences artificielles dans les jeux vidéo aura moins tendance à idéaliser ces intelligences artificielles, saura que ce ne sont que des robots (entendez programmes informatiques) quelque soit l’attrait ou l’intelligence avec laquelle ils se présentent, et il sera donc amené à les traiter comme ils doivent être traités, c’est-à-dire comme des outils. Alors que d’autres, qui n’ont pas eu cette proximité, auront malheureusement, je pense, plutôt tendance à les idéaliser voire les idolâtrer.
Il y a aussi toute une série d’apprentissages, parce que quand on joue aux jeux vidéo on a tôt ou tard envie de mettre les mains dans le moteur. On essaye de modifier des choses… Certains vont jusqu’à éditer les programmes de jeu pour gagner des vies supplémentaires. Ce côté bricoleur, je pense, est très utile parce que ça construit des citoyens de demain qui ne sont pas simplement des utilisateurs. L’utilisateur lambda on lui donne un programme, il l’utilise et ça  s’arrête là. Ces programmes-là, on sait que sont des brèches potentielles dans la vie privée des individus par exemple. On sait que les grandes sociétés, de Google à Microsoft en passant par Apple, utilisent massivement les données que nous produisons tout aussi massivement. Donc, il est bien, dans notre société, d’avoir quelques personnes qui ouvrent ces boîtes et qui regardent ce qu’il y a dedans en nous proposant des modèles alternatifs et en envoyant des alertes ! Ces utilisateurs de demain, ce sont les joueurs de jeux vidéo d’aujourd’hui, qui ont 10 -11 ans et qui se disent « mais pourquoi quand j’appuie là, est-ce que Mario saute ? Quelle boucle de programme active cela ? »

Le jeu, porté par l’engouement de toutes sortes de consoles, était présent sur le marché du numérique bien avant l’arrivée des tablettes, qu’en est-il aujourd’hui ?

Les jeux sur tablettes modifient assez considérablement l’expérience du jeu vidéo. En fait, ceux qui aiment les livres devraient aimer les premiers jeux vidéo parce que ceux-là pouvaient provoquer une immersion assez semblable aux longues lectures dans lesquelles on s’embarquait ! Avec la tablette, on a une expérience de jeu qui est souvent diffractée. L’exemple type c’est Candy Crush Saga. Vous jouez 45 secondes, vous pouvez arrêter et reprendre le jeu le lendemain ou trois semaines après. Dans un jeu vidéo « hardcore » des années 80, une fois qu’on est engagé dans le jeu il faut continuer. C’est donc une nouvelle expérience de jeu qui se surajoute aux expériences de jeu que l’on avait précédemment, une expérience qui est plus hypertextuelle, pour employer un mot de l’analyse littéraire, ça ajoute une expérience supplémentaire.

Candy Crush Saga

Pour terminer, croyez-vous en l’avenir de la lecture en tant qu’apport culturel, ou bien d’autres cultures sont-elles en train d’émerger ?

Très probablement ! Avant quand on était lecteur, on était au pied d’une immense statue qui représentait l’auteur. Le texte était un bloc et rien ne pouvait être changé. Maintenant quand on est lecteur, la statue de l’auteur est déjà beaucoup plus petite, tout simplement parce qu’on peut lui envoyer un message, aller sur sa page Facebook, discuter avec lui. Et puis on a souvent l’expérience d’être soi-même un auteur. Peut-être qu’on n’écrit pas tous des textes aussi grands que ceux de Barthes ou de Freud, mais tout le monde a pris l’habitude d’écrire. Donc je crois en effet que ça change la culture. La culture avec un grand C à laquelle nous avons été formés est basée sur l’unicité de l’auteur, et sur le fait que ce qui est écrit doit rester à jamais écrit de cette façon-là. Maintenant on est face à quelque chose d’autre, les écrits se multiplient, ils se succèdent. Chaque écrit repousse l’autre, on peut avoir une mémoire un peu plus courte, et surtout ils sont liés les uns aux autres par l’hypertexte. Pour paraphraser Victor Hugo « Ceci ne tuera pas cela » l’écriture numérique ne tuera pas l’écriture du papier. On a encore besoin du papier, ne serait-ce que pour les mémoires très longues puisque si vous cherchez un texte qui a été écrit sur le Web il y a 15 ans ou même six mois sur Facebook, vous aurez la plus grande peine à le trouver, alors qu’on a des textes de plusieurs centaines d’années qui sont les garants de la mémoire de l’humanité. En numérique on peine à avoir cela. Il y a déjà des initiatives dans ce sens comme le site archive.org qui archive le plus qu’il peut de l’Internet, mais je serais franchement plus rassuré si des grandes institutions comme l’Unesco ou l’ONU s’intéressaient à la mémoire de l’humanité et à la mémoire spécifique que l’humanité est en train de construire sur le réseau.

Un très grand merci encore Yann ! Cet échange, s’il ne me rassure pas sur l’avenir de la lecture, ouvre d’autres réflexions sur les mutations qui s’opèrent et dont nos jeunes seront les acteurs de demain.


Le 20 octobre dernier, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir dans ma boîte mail ce message « Le Salon du livre et de la presse jeunesse souhaite cette année établir un partenariat spécial avec certains bloggeurs et votre blog a attiré notre attention par le traitement de qualité qu’il réserve à la littérature jeunesse et au numérique. (…) »

30 ans c'est grand ?

J’avoue qu’être assimilée à une bloggeuse m’a surprise et l’éditrice que je suis (flattée de l’invitation, tout de même) s’est un peu interrogée. Bloggeuse pour le prestigieux Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil, et exposante sur le pôle numérique en tant que La Souris Qui Raconte, ne risque-t-on pas de soupçonner le conflit d’intérêt ? Bon et puis zut, la curiosité a été la plus forte !
Je me suis donc rendue hier au RV fixé où j’ai retrouvé Pépita de Méli-Mélo de livres (rencontrée sur un précédent Salon) et sept autres représentantes de la bloggosphère influente. Après les présentations des unes et des autres (étudiante en métier du livre, bibliothécaire, enseignante, documentaliste, [éditrice] ou simplement maman), Sylvie Vassallo, entourée de son équipe des relations presse et communication, nous a expliqué le pourquoi de cette démarche.
Le thème de la 30e édition du salon est « Littérature de jeunesse 10e art ?! », une interrogation associée à une exclamation ! Nous connaissons tous le 7e art (au fait, connaissez-vous les 6 voire 9 autres ?)*, ne serait-il pas temps d’en instaurer un 10e, tout rond comme un bonbon, ouvrant des perspectives inédites sur la création littéraire jeunesse comme art à part entière ? Sylvie Vassallo ouvre le débat en page 8 du dossier de presse de l’édition anniversaire et écrit :

C’est reconnu depuis belle lurette, de grands textes de littérature jeunesse appartiennent au patrimoine littéraire mondial. Alors fallait-il vraiment revendiquer la singularité de son caractère artistique ? Y aurait-il nécessité à prendre rang sur l’échelle des arts ? (…) La littérature jeunesse, et pas seulement l’album, abrite une langue artistique qui n’est ni celle de la littérature, ni celle de la bande dessinée. Un vocabulaire unique, des écritures originales qui, en combinant à l’infini mots et illustrations, ouvrent un horizon singulier pour l’imaginaire et la construction de sens (…).

Et de conclure sur les multiples interrogations et interprétations, propres à chaque lecteur.
Evidemment la littérature de jeunesse est un art à part entière, comment pourrais-je ne pas être d’accord avec ça ? Cette réunion nous a donc donné le ton du salon. Un ton qui se veut « connecté » en associant à cette réflexion des bloggeurs(euses) qui n’ont de cesse de vouloir partager leurs lectures, bons plans, astuces, autour de la lecture et de l’enfance. J’ai donc découvert avec bonheur les différents blogs de mes coreligionnaires et vous invite vivement à en faire autant. Ces femmes à 90% (Gabriel tu es unique !), communiqueront avec leurs lecteurs, leurs rencontres, dédicaces, coups de cœur, dans cet espace infini qu’est le web ! En voici la liste, et moi je vous dis à très vite sur le salon, avec des tonnes de surprises !

Justine du blog Fairy Neverland

Pépita du blog Méli-Mélo de livres

Michèle de Maman on bouge

Pascaline A little matter what ever

Alice L’antre de la louve

Stéphanie de Ma poussette à Paris

Stéphanie de  Mille et une frasques

Soukke de Bouquinbourg

Et puis aussi les absents hier, mais attendus sur le salon

Laury de Muns in Paris

Lucie de LU cie & co

et enfin l’unique Gabriel de La mare aux mots

 

* Réponse sur Wikipédia bien sûr !