Vide juridique ou absence de dispositions légales, même combat. Le tout étant de savoir qui sont les combattants !

Ce n’est pas la première fois que j’aborde la question de l’acquisition des livres numériques par les collectivités. Le compte rendu de ma journée du 23 septembre dernier, « Les enjeux du numérique en bibliothèque » en parlait déjà un peu. Entre septembre 2013 et janvier 2014, le temps s’est incroyablement accéléré, et avec lui les forfaitures dont les éditeurs pure-player sont de plus en plus victimes ! Explication par l’exemple.

©Disney
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Les bibliothèques s’équipent de plus en plus, et c’est tant mieux ! Elles s’équipent à la hauteur des budgets qui leur sont alloués. Certaines un peu, d’autres de flottes entières ! Souvent, les plus largement équipées se voient aussi dotées d’un bibliothécaire spécialiste geek, plus technophile que littéraire… et jeune. Un profil récurrent. Les geeks sont jeunes, c’est comme ça, question de génération ! Les jeunes bidouillent aussi, c’est comme ça, question de génération encore ! Mais le jeune manquerait-il d’éthique dans les missions qui lui sont confiées ? Le scrupule questionne-t-il la génération Atawad (acronyme utilisé pour « Any Time, Anywhere, Any Device ») ?

Je vous laisse juge. Echange de mail avec une bibliothécaire :

Je rentre à l’instant d’une formation à Grenoble, où j’ai animé une journée consacrée aux applications et à leur médiation en Jeunesse. Lorsque je donne ces formations, il me tient à cœur de souligner que même si nous ne possédons que deux iPads, nous achetons les applications en deux exemplaires aussi souvent que possible afin de soutenir (malgré notre maigre influence au vu du nombre de supports) les éditeurs qui font de leur mieux pour faire un travail de qualité, tout en tentant de survivre. A cet instant de mon exposé, j’ai eu la surprise d’entendre le responsable numérique du réseau se targuer quant à lui de déployer une seule appli pour leur flotte de 50 iPads!!!! J’étais choquée, sincèrement sidérée que de tels propos puissent être lâchés sans complexe aucun (…)

… ou avec un éditeur pure-player  :

Nous venons aussi d’apprendre , après une réunion avec les bibliothèques que certaines s’équipent d’un nombre impressionnant de tablettes, et que, lorsqu’elles achètent une application, par exemple, elle l’achètent une seule fois et peuvent aisément la répartir sur une centaine de tablettes ! C’est bien peu de revenus pour nous !

Dans la même veine, pas plus tard qu’hier, j’ai reçu un appel d’un responsable de bibliothèque s’étonnant que je mentionne le droit d’auteur dans un courrier de prospection que je lui adressais.
Alors je pose la question, malgré la largeur du dos du vide juridique, malgré le trou noir de l’absence de dispositions légales, trouvez-vous normal ce type de remarques, induites par ce types de comportements ? Une bibliothèque, ayant eu les budgets pour s’équiper de 50 ou 100 iPads, n’aurait pas le budget pour acheter au moins un livre numérique par tablette ? 50 achats d’un coup pour les pure-player que nous sommes, c’est énorme ! Et si en effet les budgets d’acquisition pour les ressources viennent à manquer, pourquoi détourner sans vergogne un outil et le transformer en receleur de DA ? Savez-vous messieurs les « AtawadBib » comme il est difficile pour nous d’exister ? Ce que cela demande d’obstination et d’abnégation de partager avec les lecteurs (les vôtres aussi au passage) le talent d’auteurs, illustrateurs, conteurs, dont vous spoliez les droits, mine de rien !

Comment se font les livres numériques, d’après vous ? La Souris Qui Raconte doit sa renommée au talent de dizaines d’auteurs et illustrateurs qui lui font confiance. Sa réussite elle ne l’obtiendra que si une prise de conscience massive est faite par le corps des bibliothécaires qui se doit d’être exemplaire (non ?). Qu’une partie de cette profession arrête d’invoquer le vide juridique et de jouer les Ponce Pilate. Si on veut donner une chance aux éditeurs pure-player de produire des contenus de qualité, il faut acheter leurs contenus, pour qu’ils puissent décemment rémunérer les acteurs qui ont participé à leurs créations ! Le droit de prêt n’existe pas pour le livre numérique, qu’à cela ne tienne, nous allons le créer, et c’est dans ce sens que le Kenji réfléchit. Nous pouvons y réfléchir ensemble, avec vous !


12 Commentaires sur “Ah ! Le vide juridique !

  1. Bonjour,

    Je suis assistant multimédia en bibliothèque, je fais partie de ce groupe de « bibliothécaire spécialiste geek, plus technophile que littéraire… et jeune ». Visiblement je cumule beaucoup de défauts. Je comprends votre inquiétude et celle aussi des pure player de manière générale.

    Vous avez raison le vide juridique à bon dos. Sauf que nous avons conscience d’être dans une pratique qui n’est pas encadrée. Les conditions générales d’utilisation précisent généralement qu’elle est réservée à un usage individuel. Mais nous, bibliothèques, explorons un nouvel univers qui n’est pas pensé pour nos structures mais qui correspond aux pratiques de nos usagers. Nous ne voulons pas laisser passer le train et encore une fois être à la remorque des pratiques des usagers.

    Vous avez certainement raison quand vous évoquez la fragilité de votre modèle économique. Mais, vous vous trompez. Ce ne sont pas (uniquement) les bibliothèques qui risquent de mettre en péril votre survie économique. Quel est le pourcentage d’Apple sur la vente d’une appli ? Pourquoi ne pas essayer de demander à Apple de développer une offre adaptée aux établissements culturels ? Cela a été fait pour l’éducation. Pourquoi ne pas envisager un prix collectivité plus élevé mais favorisant un usage collectif ?

    Nous, bibliothèques, ne sommes pas pour le tout gratuit comme certains aiment à le croire. Nous participons à une économie, nous vous soutenons par nos acquisitions. Mais ne nous faites pas porter la responsabilité d’un modèle économique construit par les GAFA. Permettez-moi de reprendre vos mots « Nous pouvons y réfléchir ensemble, avec vous ! »

    Cordialement,

  2. Merci Thomas pour votre réponse.
    En effet nous prévoyons de rencontrer Apple pour réfléchir ensemble à des débuts de solutions. Mais en discuter ensemble avant (éditeurs et bibliothèques), donnerait plus de poids à notre argumentaire. Est-ce totalement utopique d’espérer cela ?

  3. Je me permets une petite réaction.
    Personnellement après lecture du billet de Françoise j’en conclu les éléments suivants :
    – il y a des pratiques isolées d’achat d’une application pour une utilisation massive en bibliothèque (oui 50 iPads c’est massif) ;
    – aucune généralisation n’est faite, mais uniquement un constat que certains professionnels du livre expérimentent – tant mieux – mais peut-être ou oubliant un peu vite les modèles économiques fragiles de ces structures ;
    – donc il faut effectivement en parler collectivement ;
    – des options simples peuvent déjà être imaginées : appeler l’éditeur de l’application pour en discuter, obtenir des codes « cadeaux » en échange d’une commande *officielle*, etc ;
    – ce qui serait dommage c’est que tous le monde se braque et reste dans son coin, donc parlons-en. Et via des groupements comme le Kenji ça semble pertinent ! Et pourquoi pas pendant le Salon du livre de Paris autour d’un café ?

  4. Merci Antoine !
    Je serai au salon du livre et ravie de discuter avec toi et Thomas de ces questions qui méritent qu’on s’y attellent ! C’est aussi l’une des missions de Kenji.

  5. Bonjour

    je ne peux que souscrire à l’humeur de Françoise, car le premier niveau de pédagogie sur ces questions est bel et bien celui des professionnels de la lecture publique.

    Si un bibliothécaire valide qu’une appli peut être versée indéfiniment, sans accord des ayants-droits et encore moins de rémunération (même pas un début), alors comment expliquer au grand public que la Culture, si elle doit être accessible au plus grand nombre et donc à chacun (choix de société, donc politique), elle doit tout autant permettre aux auteurs et aux éditeurs-producteurs de vivre dignement.

    Toutes les subventions qui ont permis d’acheter des wagons de liseuses et tablettes ont perverti le raisonnement à travers le territoire, laissant croire que l’enjeu se situait dans la technique, alors que c’est bien au niveau de la collection et de la médiation que la bataille doit se jouer.

    Viendrait-il à l’idée d’acquérir pour nos chers 3ème lieux, une seule table, avec une seule chaise, et de faire en sorte que les usagers se les partage à tour de rôle ?

    Le jour où les créateurs seront considérés au même niveau que les fabricants de chaises, la société aura fait un bond en avant…

  6. Bonjour,
    étant mis directement en cause, je me permets d’ajouter quelques précisions.
    Il s’agit moins de vide juridique que d’un vide commercial et technique : il n’y a pas d’offre Apple aux collectivité, et elle commence à arriver pour les entreprises, pour gérer une flotte de tablettes. Nous avons tout de suite envisagé ce type d’outil, qui fonctionne bien avec un compte par tablette, mais qui permet de pousser les applications à distance sur les iPads, en achetant les applications au coût correspondant. Il nous manque pour le moment un outil de gestion et je reconnais qu’il est plus simple d’installer la même application sur 50 iPad partageant le même compte que 50 fois avec 50 comptes.
    La BM étudie donc les solutions de Mobile Device Management (MDM) pour se mettre en conformité avec le versement d’une redevance correspondant à notre flotte, mais je ne peux pas garantir que ça marchera pour le moment car les tests débutent juste.
    Le coût de gestion par un MDM est non négligeable, donc je ne sais pas comment les petites et moyennes bibliothèques pourront gérer facilement plusieurs iPads.
    Contrairement à ce que la citation laisse entendre, nous cherchons à respecter le droit d’auteur et le versements des redevances aux auteurs d’applications.
    À votre disposition si vous avez des solutions à me conseiller.
    Guillaume Hatt
    Service informatique des BM de Grenoble

  7. Bonjour Guillaume,
    merci pour ce commentaire auquel je vous répondrai plus complètement par mail.
    Une chose cependant me pose PB ? Pourquoi ne pas contacter les éditeurs, ne serait-ce que pour les informer de vos procédures ?
    C’est ensemble que nous arriverons à trouver les solutions, beaucoup plus efficacement que chacun de notre côté !
    Je trouve l’argument du vide commercial et technique un peu facile, sauf votre respect. Il est évident que chacun essaie d’agir dans le sens qui lui convient et avec les moyens dont il dispose, mais il est quand même question des auteurs dans toute cette affaire. Une application à 4,49€ pour 50 iPad, je ne comprends même pas que vous ne trouviez pas cela choquant !
    Autre question, une fois que le système dont vous parlez (et dont je ne suis pas sûre de comprendre toute la teneur) sera opérationnel, comment ferez-vous avec les applications que vous avez déjà chargées sur les tablettes ? Les rachèterez-vous ?

  8. Re-bonjour,
    je serais ravi de contacter les éditeurs, et je le fais déjà (StoryPlayr ou hocusBookus par exemple pour adapter leur application à nos besoins de masse) mais je n’ai pas les ressources humaines pour les contacter tous. Le réseau Carel peut centraliser certaines demandes, mais pas toutes non plus.
    Concernant la majoration pour usage collectif, nous la pratiquons déjà pour les livres numériques (Numilog, PNB), les films numériques (Adavision), la musique (Gam) et les jeux vidéos. Donc ne me faites pas de faux procès, il n’a pas lieu d’être. La question n’est pas d’être choqué ou pas, la question est de pouvoir fournir un service de qualité aux usagers, en rémunérant les auteurs correctement, dans le cadre de nos budgets, et sans y passer mes jours et mes nuits, puisque je gère plusieurs centaines d’applications, au 3/4 gratuites je tiens à le préciser.
    La solution actuelle est donc un compromis, qui sera revu sous peu avec la gestion centralisée des iPad . D’après ce que je sais pour le moment, toutes les applications devront être rachetées, à un tarif variable en fonction du nombre d’iPad concernés. C’est un achat de masse, qui donne la possibilité d’installer la même application sur x tablettes. Chaque iPad a un compte différent donc il peut théoriquement avoir un choix propre d’applications.
    C’est un débat qui est donc lin d’être terminé.

  9. « la question est de pouvoir fournir un service de qualité aux usagers, en rémunérant les auteurs correctement »
    C’est ce que LSQR fait et du mieux qu’elle peut via son offre aux bibliothèques dont je vous ai adressé le document.
    Merci encore pour votre transparence, quant au faux procès, il n’y a même pas de « vrai » procès puisque zéro législation… mais là je vous taquine !

  10. Bonjour,
    Chef de projet numérique à Rouen, je confirme que le problème technique est loin d’être anecdotique. 50 comptes, c’est 50 mots de passe, 50 budgets à suivre, le tout alimenté par 50 cartes cadeaux, donc 50 devis.
    Ca fait donc 3 ou 4 mois que j’essaie d’ouvrir un compte pro Apple. Or les bibliothèques ne sont pas éligibles à l’offre « éducation ». Nous devons nous inscrire en « Business ». Or en Business, il faut un numéro DUNS (à payer en carte bleue, donc impossible pour nous) et l’alimenter avec un numéro kbis (que n’ont que les entreprises).
    Je ne peux qu’appeler de mes voeux un compte pro vraiment accessible pour les bibliothèques. encore faut-il avoir des interlocuteurs chez Apple !
    Affaire à suivre 🙂

  11. Bonjour Lucile,

    merci pour ce commentaire qui montre à quel point cet article écrit en février 2014 est toujours brûlant. Je connais vos difficultés, et comme vous je suis impuissante, mais du côté de l’éditeur cette fois.

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