Retour d’usage suite de Merrillee Reboullet

Vers l’autonomie en lecture : « Et qu’est-ce que l’on écoute aujourd’hui, Madame ? »

J’entends des traces d’excitation dans la voix du garçon de dix ans en face de moi. Je réponds en souriant, « Aujourd’hui c’est à toi de choisir. »  Je souris parce que je sais déjà qu’il sera ravi de pouvoir choisir lui-même une histoire de « La Souris Qui Raconte ».  Je souris également car je ressens avec lui sa fierté de mieux comprendre un texte plus compliqué, de mieux appliquer des stratégies de lecture qui l’aident à découvrir les nouveaux mots et de mieux gérer sa lecture indépendante. En tant que professeur, quand un des buts pédagogiques se réalise, c’est un grand moment, et il faut le vivre pleinement !

Un autre monde

Au début de l’année, en complément des buts habituels, j’ai fixé plusieurs objectifs par rapport à la littératie pour mes élèves. Premièrement je voulais les voir emballés par la littérature authentique francophone et deuxièmement je désirais qu’ils se voient comme des vrais lecteurs de français et pas seulement des apprentis d’une deuxième langue. Dans les deux cas, la collection de livres de LSQR correspond parfaitement et offre une ressource précieuse à mes élèves anglophones en immersion française.
Durant le premier trimestre de l’année scolaire, j’ai préféré présenter les œuvres de LSQR en grand groupe pour m’assurer que les élèves pouvaient bien comprendre et pour les aider à bâtir leurs stratégies de lecture.  Mais au second trimestre, je voulais les amener vers l’indépendance tout en les encadrant par quelques soutiens. Nous avons trouvé une formule qui combinait la lecture partagée en grand groupe, en petit groupe, ainsi que la lecture individuelle. Je vais les présenter séparément dans cet article, en commençant avec le partage en grand groupe et en finissant avec la lecture indépendante.

La classe a beaucoup aimé notre exploration des thèmes présentés dans le récit « La bulle d’Élodie ». Je craignais que les nuances d’amour ne plaisent pas à mes élèves qui sont un peu trop jeunes pour s’intéresser aux sujets romantiques. Mais je trouvais les autres thèmes qui y étaient abordés, tels que l’appréciation d’autrui, la célébration de nos qualités uniques et l’expression de nos émotions, trop pertinents pour s’en passer. La bonne littérature promeut les discussions liées aux expériences de la vie et je voulais renforcer leur apprentissage précédent de l’expression des émotions avec ce récit émouvant.
Conformes à ce que j’avais espéré, les conversations pendant la découverte de l’histoire étaient pleines de réflexion et les élèves ont fait preuve d’une certaine empathie pour une fille perçue comme différente.  Ils ont également identifié les situations qu’Élodie ressentait, lesquelles influençaient ses actions et ses décisions. Ce qui a été renforcé au cours de cette lecture, mais que je n’avais pas anticipé, était la fragilité de la compréhension d’un texte pour un apprenant de langue. Bien sûr, leurs connaissances antérieures leur apportaient l’idée de ce que c’était d’être sourd, mais en n’ayant jamais rencontré cette idée en français auparavant, ils ne connaissaient pas le mot et ne s’identifiaient pas avec les descriptions éloquentes de la situation d’Élodie.  C’est au moment où ils ont compris pourquoi elle vivait dans « sa bulle »,  que leur connexion au livre s’est intensifiée visiblement.

Comme beaucoup d’enseignants, j’emploie les centres de littératie dans mon cours de français pour favoriser un apprentissage ciblé à la production et la compréhension de la langue. Les élèves ainsi occupés, je suis alors disponible pour lire avec de plus petits groupes.  Un de ces centres inclut les habilités orales qui comprennent l’écoute et le parlé.  En général, les présentations de livres de LSQR sont exactement à la bonne longueur —si tout se passe bien côté technique !— pour la durée d’un de ces centres ; il y a juste assez de temps pour écouter, explorer toutes les animations éventuelles (ces dernières comptent pour beaucoup chez les jeunes !) et discuter avec leurs pairs de ce qu’ils ont lu, entendu et compris.
C’est dans ce contexte, en groupe de 4 ou 5 élèves, qu’ils ont découvert « Le prince de Venise », un conte qui rappelle à ses lecteurs d’être reconnaissants pour ce qu’ils ont dans la vie.  Malgré cette bonne morale et les nombreuses leçons possibles à tirer de ce récit, mon but en invitant les élèves à découvrir ce « prince » était tout simplement d’apprécier un livre contenant un peu de magie et d’inciter une réponse personnelle.  Nous commencerons bientôt à écrire nos propres récits imaginaires et j’aime exposer les élèves aux bons exemples d’un genre quand nous l’étudions spécifiquement.
Malgré mes attentes moins grandioses cette fois, je ne pouvais pas m’empêcher de demander aux élèves ce qu’ils souhaiteraient, s’ils tenaient eux-mêmes la noix dans leur main comme les citoyens de Venise. Les réponses variaient comme on pourrait imaginer entre la paix mondiale et la provision à vie des meilleurs bonbons !

Beaucoup de récits de LSQR contiennent des thèmes imaginaires avec des sorciers, des fées, des princesses et de la magie.  Cependant, il y a souvent une petite surprise ou un départ des contes classiques qui attire l’attention d’un élève de CM1 et CM2.  Ils connaissent à cet âge-là, certaines histoires traditionnelles et ils peuvent reconnaître les similarités et soulever les différences entre les classiques et les nouvelles.  Pour fournir encore plus d’exemples de récits imaginaires à mes élèves, je les ai invités à lire individuellement « Une botte pour deux » et « La princesse aux pieds nus ».  Ces deux titres font appel aux contes familiers tout en traitant des thèmes modernes : l’égalité des femmes et des hommes, la beauté intérieure et la célébration de l’individualité de chacun.  Les élèves plongeaient avec enthousiasme à l’écoute, les casques aux oreilles.

Sur l'écran du fond, La princesse aux pieds nus
Sur l’écran du fond, La princesse aux pieds nus. A droite, La grosse tête de Magior

 

Plus tard je leur ai demandé pourquoi ils aimaient lire les histoires de LSQR indépendamment.  Parmi les retours prévisibles comme « C’est amusant » ou « Quand tu cliques au bon endroit il y a des animations, » une fille m’a confié ce qu’elle appréciait. « Ça te lit l’histoire.  Et si tu ne connais pas un mot, la voix [du narrateur] te dit comment le prononcer. »  Pour des élèves qui apprennent sans cesse les nouveaux mots de vocabulaire, c’est un atout précieux.

J’ai hâte de voir comment nous intégrerons les livres pendant le trimestre final. J’imagine que nous allons continuer à les partager dans des contextes variés. Je préfère une approche fluide où les élèves prennent parfois l’initiative, d’autres fois c’est moi qui les dirige vers un texte « incontournable ».  La lecture est beaucoup plus attirante quand chacun participe à la découverte de livres bien agréables qui créent ensuite des souvenirs de partage. C’est ainsi que les « vrais » lecteurs sont emballés par la magie d’une belle histoire.


2 Commentaires sur “Histoires partagées et immersion française #2

    1. Merci Régine, c’est en effet une belle expérience. Je regrette que les enseignants d’ici ne soient pas plus téméraires sur ces questions numériques.

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