« Conte du haut de mon crâne » est le 20e titre de La Souris Qui Raconte. Un conte remarquable et inattendu, où rien n’est en demi-teinte. L’écriture est celle d’une personne passionnée qui donne à penser qu’elle sait de quoi elle parle. Quant à l’illustration, magistrale de poésie, remarquable de trouvailles, de détails et d’humour, elle complète à merveille ce texte sensible que je conseille aux 9-10 ans, et à tous les adultes qui ont gardé une âme d’enfant…

Séverine : Comment ce texte est-il né dans votre tête ?

C’est un mystère. Honnêtement, ce texte est très différent de ce que je fais d’habitude. Vraiment. J’ai pensé à Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Gray), j’avais des images en tête (l’escalier-route en bois d’Eau-qui-file par exemple). Les noms des personnages m’ont guidée, je ne sais ni comment, ni où.

Claire : Qu’avez-vous éprouvé à sa lecture ?

Le ton de l’histoire était tellement différent de ce que l’on lit d’ordinaire pour les enfants. Je ressentais une mélancolie, un romantisme sombre. J’ai indéniablement pensé à « Mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand. J’adorais ce sombre titre de livre et l’image d’un homme de dos face à la mer qui illustrait l’extrait d’étude dans mon livre de Français, en classe de 4e (voir Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1817-1818). A côté, le quotidien bizarre d’Ari Allistair inspirait une joie douce, un grain de folie qui apportait toute la poésie et la légèreté qu’il faut pour pallier au ton empreint de gravité de l’histoire. L’idée d’un immense manoir « La Colombe » plein de surprises m’a rappelé  « A puzzling day at Castle MacPelican » de Scoular Anderson, un livre-jeu extraordinaire de mon enfance, qui a influencé mon trait de dessin, et que je recommande chaudement.

Claire : Avez-vous eu des difficultés à mettre en image ce récit ? Racontez-nous comment vous avez travaillé les personnages et notamment Ari Allistair ?

La richesse du texte de Séverine ne pouvait se contenter de pauvres images. Ma mission était d’apporter le plus de détails possible dans les décors pour consolider l’histoire, lui donner une identité singulière et à la hauteur du récit. J’ai collecté près de 300 images aussi bien de l’époque du romantisme que contemporaines. Des portraits de personnes, des photos d’intérieur, d’extérieur, d’objets et de détails insolites qui alimenteraient la poésie de l’histoire. La colombe, emblème du manoir, devait se retrouver dans le papier peint, les cadres des tableaux. J’ai eu peur de commencer les croquis. C’était ma première histoire de commande à illustrer, on a tous le souci de bien faire et d’espérer que cela plaise à l’éditeur, que l’écrivain retrouve son texte, et que le jeune lecteur s’amuse. Pour ce dernier, je voulais lui donner des interactions jeux et des animations qui le fassent rire à la manière des cartoons, des gags qui peuvent ne pas avoir de liens à l’histoire, je pense à la limace… Il fallait penser aussi à l’animation et au support non papier mais digital donc les aquarelles étaient à éviter, les images se devaient d’être nettes et légères informatiquement parlant. Je voulais, cependant, garder l’aspect dessiné à la main. J’ai finalement opté pour le dessin traditionnel au stylo encre noire. Les dessins en noir sur blanc sont passés au scanner, puis à la vectorisation sous Illustrator (logiciel d’Adobe).

J’ai créé une palette de couleurs à partir de mes photos de référence et je me suis pliée à ce code couleur. J’ai colorié en plaques (toujours sur Illustrator) sur des calques séparés du dessin vectoriel, je pouvais ainsi changer à ma guise les couleurs. L’ensemble étant vectoriel, il était plus facile de les manipuler sur Flash et les animations ne souffraient pas d’une différence de style. Pour Ari Allistair, je l’ai croqué instantanément. Bien sûr, certains ont pensé immédiatement à Harry Potter avec ses lunettes rondes et ses cheveux noirs en épi. Mais il n’a pas de cicatrice en forme d’éclair, ni de baguette magique. Juste une louve à ses côtés, un pull rouge et un pantalon beige.

Séverine : Décrivez-nous vos réactions et celle de votre famille à la découverte des illustrations de Claire.

J’ai eu un vrai choc. J’ai eu les larmes aux yeux, la chair de poule, avec l’impression de redécouvrir mon texte. Une émotion inouïe !

Claire : Lorsque l’on passe tellement de temps sur un projet, comment en ressort-on ? Par ailleurs, rappelez-nous le temps que vous a pris l’illustration de ce conte et ce qu’il a de particulier typographiquement parlant ?

J’ai travaillé sur ce projet entre Octobre et Juin, soit 9 mois comme les bébés avec des périodes en suspens. J’ai eu des complications post-natales au niveau informatique mais j’ai reçu beaucoup d’aide heureusement. Il y a eu :
– les recherches avec les croquis et les dessins propres,
– la composition des images de chaque écran en accord avec une taille de texte suffisante pour la lisibilité,
– la recherche et réalisation d’animations sur Flash, et bien sûr les aléas de la programmation Flash qui ont freiné la progression du travail.


Rappelons-nous qu’il s’agit d’une histoire composée de 27 images avec le texte dessiné entièrement à la main (puis passé en vectoriel) et que dans chaque page, j’incluais des interactivités plus ou moins complexes et élaborées. L’expérience m’a permis d’allier illustration et animation avec une grande liberté d’expression. Les animations cachées dans l’image apportent une nouvelle dimension au récit, une seconde lecture en somme et prouve que le livre interactif a un avenir, s’il est bien orchestré et pensé comme tel, s’il n’est pas le substitut interactif d’une histoire déjà publiée sur papier. Ma première histoire de commande a l’originalité d’être digitale et interactive, farcie d’animations à chercher, écrite par Séverine Vidal qui monte-qui monte et éditée par une Françoise Mary Poppins, une souris qui fait sa place à côté du chat de l’édition classique française. J’en ressors donc avec une grande fierté, c’est un travail d’Hercule accompli.

Séverine : Vous qui éditez beaucoup en papier, parlez-nous de cette expérience numérique et des différences que vous trouvez par rapport à une édition classique.

Dans le cas de ce livre en particulier, je n’ai aucun regret du type « ah, si seulement il pouvait exister en papier… ». La qualité du résultat, les surprises, la poésie et la sensibilité apportées par Claire, font de l’ensemble un objet à part, entre livre et dessin animé. Une expérience. Je suis ravie. Merci la Souris ! Merci Claire !

Personnellement je suis impressionnée par ce livre et les talents qui s’en dégagent ! Celui de l’auteur en premier lieu, que La Souris Qui Raconte connaît bien puisque c’est sa 3e contribution avec nous (Je suis le nombril du monde et Chacun cherche Papy étant les deux premiers opus), mais aussi celui de Claire qui l’a mis en images, a donné vie aux personnages. Sur la « quatrième de couv. » je parle d’une alchimie ! Il est vraiment question de cela et je reste émerveillée à chaque lecture (je l’ai lu au moins 20 fois) ! J’espère  que les lecteurs sauront communiquer autour de ce livre, comme on communique autour d’un livre papier qu’on a aimé ! Combien de fois ai-je posé cette question à des amies : — « Tu lis quoi en ce moment ? »
Je me prête à rêver qu’un jour l’une d’elle me réponde : — « Conte du haut de mon crâne, un livre rare écrit par Séverine Vidal, illustrée par Claire Fauché et lu par Cécile Givernet, aux éditions La Souris Qui Raconte ! »



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