Avec la sortie de « Ma rentrée colère » qui arrive un peu en décalé par rapport à la rentrée des classes – mais il fallait bien laisser tout le monde s’installer – nous voici en compagnie de Eric Sanvoisin et Anna Obon, respectivement auteur et illustratrice, pour parler de cette création un peu atypique.

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Eric : Aborder un sujet aussi délicat que la trisomie 21 est courageux. Les livres sur le handicap sont rares, et sur cette anomalie chromosomique encore plus. D’où vous est venue l’idée ? Pouvez-vous nous parler du cheminement de votre écriture ?

Non, ce n’est pas courageux. C’est tout simplement un sujet qui m’intéresse et qui me touche. Bien sûr, je sais que les éditeurs sont un peu frileux quand on aborde certains sujets délicats… Mais ça ne fait rien. J’ai la grande chance d’écrire ce que j’ai envie d’écrire. C’est un luxe. Trouver un éditeur est un autre travail, moins agréable. Mais le principal est réalisé : écrire l’histoire !  La différence est un sujet qui m’intrigue et me passionne. Quand j’étais enfant, j’ai eu un ami trisomique qui était plus vieux que moi. Sa différence ne m’a jamais posé le moindre problème. Je ne l’ai jamais regardé avec des yeux comme des billes de loto !
Plus tard, j’ai travaillé dans un Institut médico pédagogique qui accueillait des enfants tous très différents. Certains étaient trisomiques… C’était pour moi quelque chose de tout à fait naturel !
J’ai déjà écrit d’autres textes sur le thème de la différence. Et comme j’aime beaucoup être le porte-parole de mes personnages, je me suis dit que ce serait drôlement amusant et difficile de me mettre dans la peau d’un enfant trisomique. C’est comme ça que tout a commencé…

LoïcAnna : Quelle impression vous a fait la première lecture de ce texte ?
Loïc, notre petit héros trisomique, est illustré tout en finesse. Quelles recherches avez-vous faites pour vous documenter ?

J’ai été aussitôt captivée ! Cela m’a enchantée ! J’ai pensé que c’était un texte très chaleureux, délicat, assertif, avec de l’humour. Qu’il voyageait et faisait voyager à travers de multiples sentiments et émotions et qu’il était à la fois très réel, clair, vif et sans tabou. J’ai pensé que c’était un livre pour les enfants et les adultes. C’est un livre nécessaire dans cette société, vu qu’il s’agit d’une réalité peu traitée en littérature et qui en parle avec légèreté et profondeur à la fois. C’est une histoire qui ouvre l’esprit et le cœur. Je ne me suis pas demandée si je voulais l’illustrer, j’ai senti que je devais le faire.
J’ai eu des relations très proches avec des jeunes trisomiques depuis mon enfance, ainsi ma propre expérience et mon histoire personnelle m’ont beaucoup aidée. J’ai également beaucoup discuté avec des personnes proches de la trisomie, j’ai lu des articles, regardé des photos. Mais surtout, durant le processus de création, cela m’a beaucoup aidé de penser à des personnes, des moments et des expériences. Alors, tout venait simplement : les expressions, les rires, la peur, l’amour, la tendresse… Les paroles d’Eric m’ont fait voyager, ont remué ma conscience et j’ai ainsi terminé en étant connectée avec un regard plus émotionnel, innocent et spontané, que rationnel.

Eric & Anna : Vous avez tous les deux découvert la lecture de Robin Sevette à l’occasion de notre BAT numérique. Robin est un jeune homme atteint de trisomie 21 qui a fait du théâtre et que nous étions allés enregistrer en décembre 2015. Quel a été votre ressenti à cette première écoute ?

E. J’étais préparé. Je savais qui était Robin. Mais, à la première écoute, j’ai été très ému. Beaucoup plus que je le pensais. Il y a dans la voix de Robin, dans sa façon d’articuler et de lâcher les mots quelque chose d’authentique. Parce qu’il a fait du théâtre et parce qu’il est lui-même trisomique. Doublement concerné. C’était un pari risqué mais le résultat est stupéfiant. Pour moi, en tous les cas. La voix de Robin rend mon texte plus fort…

A. J’ai été émue. La voix et le ton de Robin transmettent beaucoup d’émotions. Cela m’a constamment maintenue attentive. Une voix convaincante, douce, claire et avec du rythme. J’ai eu l’impression que c’était une voix qui respirait. J’ai été également agréablement surprise par la musique qui l’accompagne. Je pense que le travail de Robin est une valeur ajoutée très importante de ce livre.

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Eric : Personnellement je trouve sa lecture extrêmement poignante, et l’interprétation qu’il fait de votre texte montre que l’histoire que vous racontez est une histoire vraiment vécue pour lui. Imaginiez-vous un tel résultat ?

J’étais très curieux de découvrir le résultat de sa lecture et très excité à l’idée qu’un adulte trisomique s’apprête à lire mon texte. En même temps, je me disais : si ça se trouve, il ne va pas aimer. Il va juger mon histoire artificielle. Vu son implication dans son interprétation du texte, je ne le pense pas et, du coup, j’ai ressenti un grand soulagement !
Je n’avais aucune idée du résultat mais je savais que l’idée de Françoise (La Souris Qui Raconte) d’offrir le texte à Robin était géniale !

Eric & Anna : « Ma rentrée colère » est-il votre seul projet numérique ou en avez-vous dans vos tiroirs ? Comment vous sentez-vous par rapport à cette question des livres numériques ?

E. « Ma rentrée colère » n’était pas spécialement un texte destiné à l’édition électronique. Dans cette aventure, je ne suis que l’auteur du texte. Je n’ai pas participé à son enrichissement. Mais le résultat me donne envie de consacrer d’autres textes à cette forme artistique…

A. Après “Les cases perdudes”, un livre de poésie en prose, « Ma rentrée colère » est mon second projet numérique. J’ai profité et appris beaucoup avec les deux. Dans « Ma rentrée colère » j’ai, pour la première fois, du raconter une histoire graphique et narrative en mouvement. Actuellement je suis en cours de création d’un livre qui traite de la relation d’un enfant avec son grand-père atteint de la maladie d’Alzheimer. C’est un projet personnel qui se base sur une histoire vraie. Je ne sais pas encore qui va l’éditer ni si je ferai une adaptation numérique, mais je ne m’interdis pas cette possibilité. Il y a beaucoup de conflit autour du livre numérique et papier. Je ne sais pas ce qui se passera dans le futur, mais je suppose qu’après cette étape hétérogène,  chacun trouvera son espace et son marché et que les éditions papier se réduiront mais elles seront de plus en plus soignées. Je crois que chacune a des possibilités et ne sont pas incompatibles, au contraire. Je crois qu’il est nécessaire de raconter des histoires, beaucoup. Voilà pourquoi, plus il y a de livres de qualité, mieux c’est. J’espère juste que tous trouveront leur espace de visibilité.

Anna : La transcription numérique de vos illustrations a-t-elle été facile ou bien vous a-t-elle demandé une adaptation ?

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Avec Loïc, je me suis amusée et je me suis permis de créer sans parti pris ni préjugé. Cela m’a beaucoup plu de penser en mouvement et de rechercher l’unité. Peu à peu tout a acquis une unité de ton, de langage et de temps. Je me surprenais en riant toute seule en imaginant les dessins en mouvement. D’un coup, un gribouillage rouge inondait le papier quand je sentais de la rage par exemple… Comme il s’agissait d’un livre numérique, cela ouvrait beaucoup de possibilités et de jeux conceptuels. Je cherchais un langage simple  mais avec du sens et j’ai essayé que l’outil numérique soit un atout, une valeur ajoutée. En même temps, j’aime le papier, l’art final, c’est pourquoi je n’ai pas laissé de côté ma facette artisanale. Ça a été comme un jeu. Du point de vue technique, je n’ai eu aucun problème, car bien que généralement je travaille à la main et que j’aime l’œuvre finale, originale, j’apprécie également de pouvoir profiter des bénéfices du travail numérique. Pour moi, l’important était d’avoir des concepts clairs et que graphiquement cela soit logique, ensuite la forme vient toute seule. Françoise et le programmeur (Pierre Canthelou) ont parfaitement capté mes idées et ont fait un très beau travail d’animation.

Anna : Dans votre biographie vous nous parlez de la création d’un atelier EL NIU (qu’est-ce que cela veut dire d’ailleurs ?), pouvez-vous nous parler un peu de ce pan de votre activité et de ce qu’il se passe lors des rencontres que vous organisez.

El niu (le nid) est un espace d’atelier et d’exposition où on partage des expériences et on rapproche le monde de l’art des gens, autant amateurs que professionnels. On y organise des expositions et anime des ateliers où on accompagne les différentes sensibilités artistiques, en portant spécialement l’attention  sur les bénéfices de l’art, sur le développement et la stimulation des enfants jusqu’aux personnes âgées. Un des objectifs que je me suis fixée est d’augmenter l’estime de soi-même par le renforcement des vertus et capacités de chaque personne en stimulant des valeurs comme la solidarité, la tolérance et la responsabilité. Je comprends l’art comme un canal d’expression et un outil de transformation qui parle constamment de connections, de liens et de formes de relation avec les gens. Ce projet est lié a d’autres projets externes comme les ateliers en centres civiques, l’art urbain, ou comme la collaboration que j’ai avec le musée Picasso de l’Hospital San Joan de Déu de Barcelona, où j’accompagne durant une heure et demie des enfants, et les parents qui le souhaitent, dans un processus de création d’un livre-accordéon où ils s’expriment librement. L’idée de cet atelier est de proposer un espace créatif et intime, qui leur permet de se trouver soi-même. Un espace de jeu, d’art, d’approximation à la réalité de chacun.

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Et vous Eric ? Quels projets, rencontres, salons ?

J’ai beaucoup écrit ces derniers temps et beaucoup corrigé. Plusieurs livres vont sortir en cette rentrée littéraire et puis début 2017. Un album, des romans premières lectures, des romans pour ados et puis un livre électronique ! Alors je souffle un peu. Je vais les suivre sur les salons : Lire en poche à Gradignan, La foire du livre de Brive, Le salon du livre de Beyrouth et celui de Morlaix en Bretagne, pas très loin de chez moi. Puis ce sera le salon du livre de Montreuil…  Comme je suis également bibliothécaire, je pense que je ne vais pas m’ennuyer…

Je fais un métier formidable ! C’est ce que je pense en vous lisant et en partageant ici un peu de vous. Anna et Eric, notre livre va commencer sa vie. Une vie étincelante à plein d’égards : un texte fort aux illustrations délicates, la voix imprégnée de Robin, une nouvelle technologie, exit Flash bienvenue HTML (même si c’est chiant le HTML, et qu’on a été à la bourre dans le timing), une publication prochaine sous forme de Carte à Lire… bref si la rentrée de Loïc est SA rentrée colère, la rentrée de La Souris Qui Raconte est une rentrée guerrière ! Et je ne terminerai pas cet article sans remercier « Monsieur le mari » de Lenia Major, le traducteur des questions/réponses faites à Anna, sans qui celui-ci n’aurait pas eu la même teneur.


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