Après une orthophoniste et un psychiatre, que l’arrivée des objets connectés a poussés à certaines mutations, c’est au tour d’une bibliothécaire de nous raconter son métier, lui aussi en pleine révolution.

Alors que Marianne S. termine la mise en pratique des ateliers sur lesquels elle travaille avec La Souris Qui Raconte depuis le mois d’octobre, j’ai tout naturellement souhaité m’entretenir avec une bibliothécaire qui avait bénéficié de ses ateliers. Marianne ayant quelque accointance familiale avec la ville de Lyon, elle a initié 4 rencontres dans la région, dont deux à Villeurbanne dans la très belle bibliothèque du Rize, en février dernier.

Jacqueline Valard, vous êtes une de ses bibliothécaires, et je vous remercie infiniment pour votre temps, et vos réponses. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier aujourd’hui et si des différences sont apparues depuis… disons … une dizaine d’années ?

Je ne pense pas que le métier ait foncièrement changé. Les missions sont toujours de réaliser une sélection de titres qui correspondent aux besoins d’information, de formation du public, et d’accueillir les publics, les aider dans leurs recherches et les orienter dans leurs choix.
Certes, les supports changent, les cédéroms disparaissent, les ebooks et les applications apparaissent. L’important reste le contenu !
S’approprier une application, c’est comme s’approprier un album, c’est toujours chronophage. Mais comment transmettre sans connaître ?
Ensuite s’ajoute la partie technique, mais il faut reconnaître que les tablettes sont des outils bien plus simples d’utilisation qu’un ordinateur !
Dans les accueils du samedi matin pour enfants ET leurs parents, je propose, sur un fil conducteur le plus pertinent possible, la découverte simultanée de différents média : histoire papier, court métrage, musique, application. Chacun puise dans ce qu’il préfère, en ayant connaissance de l’ensemble des ressources mises à disposition.

apprendre à dessiner une vache 3
A titre d’exemple, lors de la parution de : Le meilleur livre pour apprendre à dessiner une vache  / Hélène Rice ; Ronan Badel –  T. Magnier, j’avais bâti l’animation autour du crocodile (il faut voir le livre pour comprendre !).

N'oublie pas de te laver les mains

C’est à dire que j’ai lu le classique : N’oublie pas de te laver les dents / Philippe Corentin – Ecole des loisirs, puis nous avons dégusté un crocodile bonbon d’une marque bien connue. Retour  sur la lecture avec  Le meilleur livre pour apprendre à dessiner une vache, ce que les enfants ont fait au feutre vert fluo. Découverte du premier épisode de Caïman songe/ Anne-Sophie Gousset chez Tralalère. L’attrait pour la tablette permet de faire poser les crayons facilement. Et pour finir, Rocco le vieux croco dans Cuit cuit / Les Papas Rigolos en CD.

Caiman songe
Une fois la séance « organisée » terminée, les enfants et leurs parents ont un temps de liberté. Là, certains retournent sur l’application, d’autres reprennent  une  des histoires, d’autres encore dessinent… Et les parents demandent les références de l’application.

Quel est votre équipement numérique, ordinateurs, tablettes et liseuses, et leurs modes d’utilisation pour vos abonnés ?

La médiathèque du Rize propose 9 ordinateurs avec connexion Internet en consultation libre, à concurrence d’une heure par jour  pour tout adhérent ayant sa carte valide (gratuite jusqu’à 26 ans et 10 € pour les Villeurbannais de plus de 26 ans en plein tarif ou une carte uniquement consultant et gratuite). 4 tablettes (jusqu’à leur disparition). 2 avec une sélection en direction des adultes,  2 avec une sélection  pour les enfants. Elles sont également en consultation sur place et libre d’accès. Nous n’avons pas de liseuse.

Concernant les acquisitions des ressources, dont il n’est pas rare d’entendre qu’elles sont compliquées pour les bibliothèques, pouvez-vous nous raconter comment cela se passe au Rize.

Chaque responsable de secteur (musique & cinéma, documentaires adultes, fiction bandes dessinées adultes, fonds local,  jeunesse) s’occupe de la veille sur les applications concernant son domaine. La demande d’acquisition est transmise au responsable multimédia qui achète les applications. Elles sont ensuite testées.  Tous les deux mois une sélection d’une vingtaine d’applications est faite pour une mise à la disposition du public. (Mise à disposition fictive depuis mi-décembre et le vol des tablettes, en attendant le rachat en cours). Certaines applications sont présentées plus particulièrement lors d’ateliers. Les applications « coup de cœur » font l’objet d’une présentation sur  signet plastifié, intégré aux collections de livres.  Si l’usager le souhaite il peut flasher le QR code qui le conduit au site marchand.
Les outils de veille sont principalement sur les sites Internet (la souris grise de Laure Deschamps, Idboox d’Elisabeth Sutton, Declickids de Nathalie Colombier, le regretté Applimini de Odile Leveugle, etc…),  les flux Rss sont bien pratiques pour être tenu informé, de même que les newletters, etc. Le « bouche-à-oreilles » de Facebook, est également efficace entre collègues. Les quelques années de pratique permettent aussi de connaître quelques éditeurs importants à suivre (Audois et Alleuil, Tralalère, Cotcotcot apps….), avec une veille particulière sur la production des auteurs illustrateurs déjà reconnus pour leurs albums.
Pour l’année 2015 le budget des applications est de 445 € pour le réseau, dont 265 € pour la jeunesse, et pour la première fois cette année, sans répartition par site. Et l’équipe a la chance de bénéficier d’une personne en emploi d’avenir, en charge des médiations auprès du public en salle.

A combien se montent vos ressources numériques pour les enfants aujourd’hui (applications et eBooks) ?

Nous devons avoir actuellement autour de 180 applications et eBooks. Principalement des applications pour la petite enfance et tous genres confondus, documentaires, ludo-éducatives, histoires, jeux…
Lors de la mise à disposition d’une sélection bimensuelle j’essaie d’équilibrer l’offre pour chaque tranche d’âge, en documentaires, histoires et apprentissage ou ludo-éducatives.

Il y a quelques temps de cela, j’avais pointé du doigt certaines pratiques d’acquisition qui me paraissent indignes des bibliothèques (relire article du blog ici), et dont je crains qu’elles ne se perpétuent en l’absence de législation. Avez-vous votre avis sur cette question, vous-même mais aussi au Rize, parmi vos collègues, ou votre direction ?

Que voulons-nous ? Quelle société ? Souhaitons-nous être envahis par la publicité et ne plus avoir de choix ? A partir du moment où nous souhaitons des applications de qualité, avec de vrais créateurs, dans un environnement sécurisé pour nos enfants, il est indispensable que toutes les personnes de la chaîne de fabrication soient rémunérées. Par contre il est aussi vrai que le coût réel d’une application est vite hors des possibilités des budgets !
Pour une petite structure comme la médiathèque du Rize, les livres ne sont achetés qu’en un exemplaire, qui reste plusieurs années à disposition du public. Alors que les applications, pour deux tablettes dédiées jeunesse en salle, il n’y a qu’un seul achat et 2 lectures simultanées possibles. Et, au bout de deux mois, l’application est remplacée par une autre.
C’est à dire qu’une acquisition par structure me semble la moindre des choses, mais je ne suis pas prête à acheter 2 fois la même histoire pour une durée brève. Toute l’ambiguïté est là.

J’aimerais maintenant que nous abordions les deux ateliers que Marianne est venue animer dans votre bibliothèque. Le premier « Le Livre Papillon » et le second « Il suffit parfois d’un cygne » sont respectivement une application et un eBook enrichi. Leurs différences de formats ont-elles eu un impact dans le déroulé des ateliers ? En avez-vous senti les différences ?

Programme du Rize

L’application est directement visible sur la tablette contrairement à l’eBook qu’il faut aller chercher dans la bibliothèque de la tablette et demande une médiation supplémentaire. Sans doute très pratique en famille, moins en bibliothèque.
Est-ce une impression ? Je trouve l’eBook moins « stable » que l’application. Toutefois je n’ai noté aucune remarque, ni des enfants ni des adultes qui les accompagnaient concernant le support.

Pouvez-vous nous décrire rapidement comment se sont passés ces ateliers, et s’ils vous ont apporté un autre regard sur la lecture numérique ?

J’ai beaucoup apprécié ces ateliers, ils m’ont « décomplexée » pour les présentations futures. Je m’explique. Quand je présente un album aux enfants, je le mets en voix, je l’anime, tourne les pages plus ou moins vite, etc. Une histoire de LSQR est déjà animée, sonorisée, elle n’a pas besoin de moi ! Marianne m’a permis de voir ce que l’on peut faire très simplement, assise au milieu des enfants. Tout le monde profite de l’image de belle taille sur grand écran, et une fois qu’ils ont compris que les petits doigts sur la tablette c’est « chacun son tour », tout le monde est fin prêt pour la grande aventure. La préparation en amont est la même que pour un album « ordinaire ».  Il faut bien connaître l’histoire et malgré cela les enfants découvrent toujours un détail qui m’avait échappé. D’où l’émerveillement. Les ouvertures ou rebondissements sont les mêmes, par exemple : Il suffit parfois d’un cygne nous a permis de découvrir les documentaires sur les oiseaux, et Marianne nous a appris l’origami d’un oiseau.

Et les enfants, comment ont-ils perçu cette rencontre ?  Est-ce que certains d’entre eux, ou leurs parents, vous en ont reparlé depuis ?

Il y a surtout une demande pour recommencer ! Les enfants n’étaient pas pressés de repartir. Il suffit parfois d’un cygne est une histoire courte. La séance fut donc agrémentée de l’Ogresse, autre très belle histoire de LSQR,  pour le bonheur de tous.

Avez-vous trouvé l’expérience positive, comptez-vous la prolonger et proposer régulièrement de pareilles rencontres avec les jeunes lecteurs ?

Oui oui, et je suis ravie car j’ai maintenant un programme tout fait pour mes lectures d’été !

Pour terminer, et partager avec les lecteurs (dans lesquels je ne doute pas qu’il y ait des bibliothécaires) pouvez-vous me citer trois livres numériques (hormis LSQR) que vous aimez particulièrement et nous expliquer pourquoi, comment ou grâce à qui vous les avez distingués.

Trois histoires, c’est difficile, je ne voudrais blesser personne, et je vais faire un choix spontané de ce qui me vient à l’esprit en premier, en évitant toutefois les noms déjà beaucoup cités.

• C’est pas de l’eau, c’est des mots Marc Solal / Marie-Paule Prot – La dentellière.  Découverte suite à une critique de La Souris grise. Une histoire courte, poétique, parfaitement ciselée.

• Pierrot Pierrette / Nicolas Gouny – Audois Alleuil. Présenté par IDboox sur son site. En noir et blanc avec juste quelques pointes de rouge, une histoire de tendresse.

• La grande fabrique de mots Agnès de Lestrade / Valérie Docampo – Mixtvision. Du livre éponyme édité chez Alice. Critique sur Declickids. Dans un pays où les mots s’achètent, comment dire son amour ? Avec là une forte dominante de rouge.

Voilà un choix qui trahit mes dernières recherches !
Il faut vous dire que la Cie Anda Jaleo est  pour un an en résidence au Rize autour du thème de L’AMOUR  et que je tisse des liens entre les présentations faites aux enfants et ce qui se passe ailleurs dans le bâtiment.

Vos trois choix sont excellents ! Si je ne connais pas C’est pas de l’eau, c’est des mots, je connais les deux autres avec un coup de cœur pour Pierrot Pierrette, et l’univers tellement remarquable de Nicolas Gouny. Merci encore Jacqueline, pour vos réponses et vos éclaircissements sur votre métier et votre rapport au numérique.


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