C’est plein d’espoir qu’Alexis Vivant de Grotthus de GoodBye Paper et moi-même nous sommes rendus hier dans le saint des saints, le bien nommé CNL, pour parler de Kenji et solliciter une aide pour le développement de nos actions au regard des bibliothèques ! Ce n’était pas une première, ni pour Goodbye Paper, ni pour La Souris Qui Raconte. Retour mitigé.
Nous avions RV avec Vincent Monadé, le président himself, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs reprises lorsqu’il était au Motif. Un homme bienveillant et attentif. C’est François Rouyer-Gaillette qui nous a finalement reçu (notre 4e rencontre rue de Verneuil pour ce qui me concerne). Le président ayant eu un empêchement, il nous a rejoints au cours de l’entretien.
Nous nous voulions factuels. Qu’est-ce que le Kenji, les raisons de notre alliance, le pourquoi de ce énième rendez-vous. Pour nous être cassé les dents à plusieurs reprises dans des sollicitations financières de mauvais aloi, le CNL ne finançant pas la création applicative, et le Kenji ayant pour membres des acteurs du secteur, il fallait impérativement aborder la question sous un autre angle. Forte de mon expérience de terrain, notre entretien porta sur « le droit de prêt de livres numériques pour enfants en bibliothèque » et les questions afférentes. Pour cautionner et étayer notre discours, nous avions sollicité une avocate en propriété intellectuelle, Isabelle Sivan, pour la rédaction d’une note portant sur les pratiques actuelles dont je vous livre le préambule :
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Certains éditeurs pure players commercialisent l’ensemble de leur catalogue de livres numériques sous forme d’applications. Sur le site iTunes, les éditeurs sont contraints de fournir leurs applications dans un format propriétaire et de respecter les conditions d’utilisation et de vente du site. Or, ce site n’est pas adapté à la vente d’applications à destination des bibliothèques en vue du prêt public. En effet, les applications sont destinées à une utilisation privée et non collective, et le paiement ne peut se faire que par carte bancaire (mode de paiement ne correspondant pas à celui des bibliothèques).
D’autre part, à l’heure actuelle, il n’existe pas en droit français de loi sur le prêt public des livres numériques équivalente à la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque concernant les livres imprimés. Ainsi, en l’absence de dispositions légales et compte tenu du marché oligopolistique des applications, bibliothécaires et éditeurs ont mis en place des pratiques et méthodes empiriques. (…)
L’entretien a duré deux bonnes heures.
Première impression générale, éditeur numérique n’est plus un gros mot ! Ouf ! Même si je force volontairement le trait, les précédents rendez-vous au CNL avaient été source de grandes déceptions. Pas tant parce que je n’obtenais pas les aides auxquelles j’espérais avoir droit, mais surtout parce que l’éditeur pure player que je suis n’était pas reconnu comme tel. Aujourd’hui, enfin, l’éditeur pure player commence à rentrer dans une case. Même si ça coince encore aux entournures, cela mérite d’être relevé… et apprécié ! Celui qui s’ajuste le mieux est l’éditeur de livres numériques en format e-pub. Il peut être vendu en librairie (le credo de Vincent Monadé et du Ministère de la Culture) et n’est pas enfermé dans un système. Pour l’éditeur d’applications, c’est plus compliqué ! Pourtant le président a reconnu que les jeunes lecteurs lisent prioritairement des applications. Goodbye Paper et LSQR ayant aussi bien de l’applicatif que de l’e-pub dans leurs catalogues, il nous a été facile d’arguer de la supériorité d’un marché par rapport à l’autre (en jeunesse toujours) ! Mais comment fait-on pour vendre des applications dans les librairies ? Vaste question!
Pour en revenir à nos bibliothèques… Aviez-vous cru que je me sois écartée de mon sujet ? Que neni, c’était pour mieux y revenir ! Car auprès de qui les bibliothèques se fournissent-elles en livres ? Les librairies bien sûr !
Le rôle important joué par la librairie pour la diffusion d’une production éditoriale diversifiée et comme acteur de la vie culturelle des territoires fait partie des convictions partagées, à juste titre, par les pouvoirs publics et par les milieux professionnels du livre, dans leur grande majorité.
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Source : L’accès des librairies aux marchés d’achats de livres des bibliothèques
CQFD… mais pas que. En effet, il a aussi largement été question de DILICOM et du projet PNB, dans lequel les éditeurs d’applications jeunesse pourraient s’inscrire dès lors qu’ils ne sont pas enfermés dans un modèle.
DILICOM est « un service interprofessionnel destiné depuis 1989 à faciliter le développement des Echanges de Données Informatisés (EDI) dans le secteur commercial du livre. Il est avant tout destiné aux distributeurs et aux libraires, (…) donnant aux échanges commerciaux le cadre informatique qui leur est nécessaire : (…) les commandes, les catalogues, les avis d’expédition et, enfin, les factures. »
PNB est « un projet essentiel au service de l’interprofession mis en œuvre par DILICOM. Il nous a paru nécessaire que les libraires, partenaires naturels des bibliothèques et des éditeurs, restent impliqués dans le développement de la lecture publique. (…) Ce projet s’inscrit logiquement dans le prolongement du hub Dilicom qui assure depuis 2010 les échanges d’informations et les transactions relatifs aux livres numériques entre les e-distributeurs et les libraires. »
Pour l’instant, les éditeurs d’applications ne s’inscrivent pas dans le programme Dilicom/PNB. Kenji, au travers de son groupement, pourrait tout à fait y prétendre et proposer aux bibliothèques des applications pour la jeunesse, au même titre qu’un autre fournisseur de contenu numérique. Là où le bât blesse, pour nous petits éditeurs pure player jeunesse, c’est la temporisation ! Combien de temps encore avant la prise en main par tous les acteurs d’une solution comme celle-ci ? La priorité sera mise sur les formats standard e-pub ou pdf. Les applications viendraient peut-être dans un deuxième temps, si celles-ci rentrent dans la discussion. C’est ce qui nous a été promis… les faire rentrer dans la discussion !
Alors oui, ça avance ! Oui les acteurs majeurs se sont emparés, enfin, de sujets qui nous sont chers ! Mais en attendant, 1) que les instances discutent de notre cas, 2) que les discussions aboutissent, 3) qu’elles soient couchées noir sur blanc, 4) mises en pratique … où serons-nous ? Où en seront les dérives des usages que j’ai pu observer faute de proposition ad hoc ?
Nous n’avons pas les moyens d’attendre que les « choses » se mettent en place. Alors comme beaucoup d’autres acteurs pure players nous trouvons nos propres solutions, et nous avançons. C’est une question de survie.