« La tristesse de l’oiseau bleu », qui vient d’être mis en ligne sur notre site est un livre atypique dans la collection de La Souris Qui Raconte. A l’instar de « Le prénom de monde » c’est un livre de commande qui vient de fort loin. De plus il est écrit et lu dans deux versions de langues, français et espagnol.

Lise Goussot vous êtes responsable de la médiathèque de l’Alliance Française de Quito (AFQ) en Equateur, et vous m’avez sollicitée pour la production d’un livre interactif dont l’écriture, les illustrations et la très belle musique sont le fruit du travail d’artistes locaux. Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet.

L’album numérique de « La tristesse de l’oiseau bleu » est né suite à un appel à projet de l’Institut Français, qui cherche à valoriser, entre autres choses, l’usage des nouvelles technologies.
Nous venions de recevoir à l’AFQ Charlotte Gastaut pour une exposition sur ses illustrations et elle m’avait présenté son très beau livre en réalité augmentée (Copain ?, chez Albin Michel, coll. Histoires animées). Cela m’a donné envie de suivre cette piste, et allier le talent équatorien au savoir-faire français. Connaissant le travail de La Souris Qui Raconte, j’ai pris contact avec Françoise Prêtre, qui m’a très bien reçue et aidée dans l’étape de préparation de ce projet.
Nous avons alors lancé le concours sur nos réseaux, pour réaliser un album numérique bilingue français/espagnol, qui serait édité par LSQR et diffusé sur la Culturethèque (la médiathèque numérique du réseau français à l’étranger). Parmi les projets qui nous sont parvenus, deux ont particulièrement retenu notre attention de par les thématiques abordées et la qualité de l’illustration, mais c’est finalement « La tristeza del pajaro azul » qui l’a emporté, car il se prêtait davantage à l’animation.
Pour la musique, nous souhaitions aussi quelque chose dont la couleur corresponde au texte. L’auteur-compositeur équatorien Alex Alvear a eu la gentillesse de nous prêter sa musique dès que nous le lui avons demandé, ce dont nous le remercions grandement tant ses mélodies complètent l’univers de l’album.
À côté de ce projet, nous travaillons avec des classes de français sur l’album jeunesse et ses différents supports. Au final, les élèves équatoriens vont écrire en français et illustrer leur propre conte que nous mettrons aussi en ligne sur la Culturethèque. Ces travaux seront alors visibles dans le monde entier.

Comment les rôles se sont-ils répartis entre Institut Français (IF) et Alliance Française (AF) et pouvez-vous nous expliquer la différence entre l’un et l’autre ?

À la différence des IF qui dépendent de l’Etat, les AF sont des associations privées locales, à but non lucratif, et sont autofinancées. Mais nous accomplissons le même travail, à savoir la diffusion de la langue et de la culture française à l’étranger.
L’AFQ est à l’origine du concours auprès des auteurs/illustrateurs équatoriens. Une fois l’album sélectionné, nous l’avons traduit et nous avons fait le lien entre LSQR et Maria del Carmen Herrera (l’illustratice) pour toutes les demandes techniques de l’adaptation de l’illustration au format numérique.
Sur ce projet, le rôle de l’Institut Français concerne surtout le financement. Mais il ne se résume pas qu’à cela : sans la « Culturethèque », fournie et gérée par l’Institut Français, sur laquelle sera diffusé « La tristesse de l’oiseau bleu », ce projet n’aurait pas vu le jour.

Lorsque vous m’avez interrogée sur « La tristesse de l’oiseau bleu », ce n’est pas la demande qui m’a étonnée, mais de qui elle émanait. L’Équateur est un tout petit pays coincé entre la Colombie, le Pérou et l’océan Pacifique. L’Équateur, pays innovant sur les questions numériques ? Quelles raisons vous ont incités à éditer un livre numérique plutôt qu’un livre papier ?

À l’AFQ, le numérique est au cœur de notre action pédagogique (cours à distance) et culturelle (Culturethèque, « Novembre Numérique » spécialement consacré aux cultures numériques).
Quant à notre public, il est effectivement très friand de nouvelles technologies… et beaucoup moins de la lecture. Le format numérique rend les livres plus accessibles, moins « sacrés » et plus « modernes » et interactifs. J’espère que le travail mené avec nos jeunes élèves les incitera à s’ouvrir davantage à la lecture, quel que soit le support.

Pouvez-vous aussi nous préciser où en est le numérique en Amérique du Sud, quels éditeurs pour quels lecteurs ?

L’Equateur n’est malheureusement pas un pays de grands lecteurs. Les librairies se fournissent généralement auprès des éditeurs espagnols, argentins (qui ont une belle production en littérature jeunesse) et en Colombie. Même les auteurs équatoriens se font généralement publier à l’étranger. Cela me semble regrettable, car il y a ici beaucoup d’auteurs et illustrateurs de grand talent. Mais, mis à part quelques éditeurs indépendants, rares sont les maisons d’éditions locales qui mettent sur le marché des albums dont la qualité physique mette en valeur son contenu, et encore moins à des prix accessibles à toutes les bourses.

Pour terminer, je voulais remercier l’Alliance Française de Quito et plus particulièrement vous, Lise, pour avoir permis la réalisation de ce projet. Merci à l’auteur Kevin Cuadrado, à l’illustratrice Maria del Carmen Herrera et à Alex Alvear pour ses très belles musiques andines. Nous sommes bel et bien transportés aux portes de l’Amazonie !
Si l’histoire aborde des thèmes préoccupants pour l’écologie de l’Équateur, l’espoir que fait naître l’« enfant oiseau » en se mobilisant et en appelant à la solidarité nous invite vivement à le suivre.  

L’Equateur est un petit pays, certes, mais c’est un pays d’une grande richesse culturelle et naturelle : il est le plus grand réservoir au monde de biodiversité et il est important de le préserver. C’est une terre de contrastes, depuis les plus hauts plateaux andins semés de volcans aux Galápagos, en passant par ses plages chaudes et ses forêts humides !
Nous vous invitons à venir découvrir tout cela sur place.
Pour ma part, je souhaitais vous remercier, Françoise, pour votre aide et votre patience dans l’élaboration de ce projet.
Kevin Cuadrado et Maria del Carmen Herrera se joignent à moi pour remercier toute l’équipe de LSQR pour le travail accompli sur leur conte. 


Dans quelques semaines Noël, la fête, les cadeaux, la joie ! Avec la publication de « Les Noëls de Trouquelune » un livre que j’ai demandé à Cathy Dutruch d’écrire pour La Souris Qui Raconte, nous allons nous réunir à l’abri d’une forêt dans laquelle toutes sortes d’animaux s’offrent un cadeau, bien sûr (c’est Noël tout de même), et… un beau mot !

 

Catherine, lorsque je t’ai passé commande de cet ouvrage, je t’ai précisé que je voulais parler de Noël autrement. Tu as très vite pigé, pas de bling bling, pas de consumérisme, mais des valeurs de partage, jusque dans les choses les plus simples. S’il te plaît, parle-nous de « Trouquelune » et de cette idée simple et tellement essentielle de Noël.

Trouquelune, c’est un endroit que je connais. Il est en moi, en nous, et surtout ici, là où je vis. C’est aussi un mot inventé par mon arrière grand-père, il appelait ma mère comme ça, c’était un mot pour la tendresse, pour les enfants. Trouquelune, viens par là, Trouquelune c’est l’enfant en nous. Les mots doux, la tendresse, le vrai.

Nous en sommes à notre 5collaboration ce qui n’est pas rien ! Comment choisis-tu les éditeurs avec lesquels tu travailles ?

Je ne travaille plus qu’avec toi ! Hahahaha !
Et j’attends aussi de rencontrer un éditeur, pas jeunesse, pour un roman en cours.

Tu nous raconteras cela pour notre 6collaboration (Huhuhu).
Chaque titre publié chez La Souris Qui Raconte a son propre univers graphique, si je te demandais un seul mot qualifiant l’univers de chacun des tiens, le trouverais-tu ?

Ogre doux (Juliette Lancien) : Surréaliste
La petite musique du monde (Farah Allègue) : Liberté
Pour tout l’or du monde (Juliette Lancien) : Puissance
Le prénom du monde (Claire Fauché) : Amour
Les Noëls de Trouquelune (Giovanna Gazzi) : Nature

En listant ces titres, le MONDE y est très représenté, un hasard ou autre chose ?

J’ai en effet pensé la même chose… un hasard, certes pas ! Je pense être obsédée par l’envie de changer le monde.

Et bien, il y a du boulot alors !
Au-delà de tes créations littéraires et poétiques tu aimes chiner des bouts de rien que tu assembles et qui te ressemblent. Ensuite tu partages tes trouvailles, et celles des autres, dans ton « Musée du Bleu ». Et si tu nous en parlais de ce beau projet !

Le Musée du Bleu a ouvert ses portes à Trouquelune l’an dernier. Au début, c’était juste un rêve, ouvrir mon atelier d’artiste, montrer mes collections… Et c’est vite devenu une galerie, un musée vivant dans lequel tous les passionnés de bleu viennent se ressourcer, admirer des créations, tableaux, objets, chiner des idées. Nous sommes également une association qui propose la plus petite librairie du monde. Il y a des livres anciens, rares, littérature jeunesse aussi, il y a également une gratuiterie, on nous donne, on donne. Nous organisons de nombreux ateliers, manifestations, fêtes. Nous proposons des jours d’expo aux artistes, etc… Nous ouvrons la maison et le jardin aux visiteurs.
Ceci dit, ça a l’air fabuleux comme ça, mais c’est très difficile. Beaucoup de gens sont adorables, mais pas tous. C’est une initiative privée et nous devons nous accrocher. J’ai mille remarques méchantes ou jalouses qui me renvoient vite les pieds au cul sur terre. Je ne sais pas du tout si j’aurai l’endurance de poursuivre des années. Ce sont les gens qui entrent au Musée du Bleu avec l’esprit Musée du bleu, poètes et artistes qui m’aident à tenir le coup. Pas facile tous les jours, oui ! Un artiste ça doit manger aussi. Les gens ne comprennent pas toujours pourquoi on doit vendre, même une petite carte postale… Et souvent, je les donne !

Une dernière question. Qui tient en un seul mot, ton mot cadeau ?

Cadeau, c’est gratuit. Alors GRATUIT.

Pour toi Giovanna, « Les Noëls de Trouquelune » est ta 2participation au catalogue LSQR. Après l’excellent « Le drôle de chat qui mord » (allez vite voir, il est très beau —aussi—), tu as donné vie au bestiaire de Cathy, quel animal a ta préférence ?

Le renard… de toutes les façons le petit renard roussit (ou rougit) toujours, c’est peut-être pour ça que je l’ai mis un peu partout. Et tout de suite après, la martre, parce qu’elle est très photogénique, et enfin les lièvres… parce que, à deux, le jeu est plus amusant et intéressant.

Comment as-tu travaillé sur cet ouvrage de la collection « à jouer » alors que « Le drôle de chat qui mord » appartient à la collection « à lire » ?

J’ai senti une différence non pas dans la quantité ou dans la qualité des mouvements… mais plutôt dans le rythme des textes. Le livre « à lire » a demandé d’aller plus à l’essentiel. Il se passe beaucoup de temps entre une action et l’autre. Les choses se transforment lentement… c’est le temps qui guérit le cœur. Dans ce cas précis les mouvements se devaient d’être plus délicats et les animations plus lentes, au rythme du récit.
En lisant le texte de Trouquelune, j’ai constaté que c’est justement le rythme du récit qui suggère d’ajouter du mouvement et des interactions. Tout arrive pendant la nuit de Noël et quelques jours avant, et les préparatifs sont joyeux et frénétiques. L’interaction est nécessaire pour augmenter l’effervescence de ce moment unique ! Je crois que c’est nous (moi et aussi Catherine ! sans nous connaître) qui y avons joué en premier lorsque nous l’avons créé.

Tes story-boards sont très clairs et ont beaucoup aidé les animateur et développeur (qui font un travail merveilleux ET respectueux —merci vous deux—). Ta formation y est-elle pour quelque chose, et le précédent ouvrage t’a-t-il aidé ?

Quand j’ai fréquenté l’Académie des Beaux Arts, mon prof d’anatomie artistique était un illustrateur de profession et il nous expliquait souvent que l’anatomie ne pouvait se rapporter qu’au seul corps humain, mais concernait n’importe quel objet ou sujet que nous avions devant nous, et cela devait conduire à une sorte de style, une éducation du regard sur toutes les choses. De ce fait le livre aussi a une anatomie. Idem pour la narration, le récit. Il est nécessaire d’en redessiner la structure.
Le drôle de chat qui mord a representé dans ce contexte un excellent entraînement, étant donné que j’ai poussé le raisonnement sur la nécessité de m’expliquer en français…

A l’occasion de notre première rencontre ici, tu parlais de tes projets. Où en es-tu, presque deux ans après ?

Je suis allé immédiatement relire mes projets d’il y a deux ans. Quelque chose s’est passé, quelque chose a grandi et quelque chose doit encore arriver. Pour être précise : ma petite héroïne des aventures est effectivement devenue un livre qui a pour titre Un an avec Emma, alors même que je n’enseigne plus au collège mais en lycée artistique. Je peins des fresques et ça me plaît beaucoup. Pour les deux années qui viennent je ne voudrais, ça me plairait, ce serait fantastique – un véritable rêve – vivre que de murs et de livres.

Et enfin, à toi aussi je vais te demander ton mot, ton mot cadeau ?

ORCHESTRA

Le mien sera tout simplement MERCI !
MERCI à tous ceux qui ont participé à la création de ce livre, et me permettent de publier des œuvres 
exigeantes.

 


C’est comme ça, Eliot est un ourson qui n’a ni pieds ni jambes ! Ça ne le dérange pas puisqu’il a des rêves plein la tête. France Quatromme nous livre une jolie histoire sur l’amitié, la volonté, le dépassement de soi, et Céline Chevrel en a réalisé les illustrations tout en tendresse et douceur.

France, après un premier ouvrage, Mon ami crocodile, publié chez La Souris Qui Raconte, tu as bien voulu me confier Le rêve d’Eliot. Dans ces deux histoires, il est question des petits chagrins de la vie, et du moyen de les surpasser ! Un thème de prédilection ?
F.Q. : Le thème de la différence traverse ce récit. Je pense que c’est d’ailleurs une préoccupation universelle qui parle aux plus jeunes comme aux adultes. Nous avons tous pu un jour souffrir de nous sentir différent. Au lieu de la porter comme un poids, l’assumer permet de la transformer en force. Ce thème revient fréquemment dans mon écriture.

Un petit retour sur les illustrations de Céline ?
F.Q. : J’ai découvert les illustrations de Céline avec émerveillement. Je trouve qu’elle a su magnifier cette histoire. Elles sont très oniriques.
La voix et la musique contribuent aussi beaucoup au ton de l’histoire à la fois poétique et joyeux.

Au-delà d’écrire, tu contes. C’est quoi le conte pour toi ?
F.Q. : Le Conte c’est avant tout un moment, une rencontre. Je m’attarde sur la vulnérabilité de l’homme qui doute et du monde qui tremble. C’est aussi le partage d’une utopie. J’y partage des rêves, la solidarité, l’écologie sur un ton poétique mais aussi bien souvent humoristique.

Que te permet-il de plus que la lecture simple d’un livre ?
F.Q. : Le Conte me laisse davantage de liberté. Il me permet d’être plus à l’écoute de moi-même et du public. Je peux raconter 20 fois la même histoire, elle n’aura jamais la même saveur.

T’arrives-t-il de faire des ponts entre tes livres et le conte ?
F.Q. : Le Conte influence mon écriture c’est certain. J’aime les symboles. J’ai cependant parfois l’envie de m’éloigner aussi de ce type de structure. L’écriture est un terrain de jeux pour moi, une aventure. J’écris des récits à la première personne, des livres très ludiques qui jouent avec l’illustration. L’écriture a certainement également influencé ma façon de raconter.

Céline, comme pour beaucoup de nos illustrateurs, Le rêve d’Eliot est votre première création numérique. Comment avez-vous trouvé l’exercice ?
C.C. : J’ai d’abord été très enthousiasmée par le thème de l’histoire et son écriture pleine de tendresse, c’est ensuite seulement que j’ai réalisé que mes illustrations seraient animées. Je n’avais auparavant jamais ouvert un livre numérique, et j’ai découvert que mon univers pourrait s’enrichir d’une autre dimension.

Quelles différences majeures cela a-t-il eu sur votre travail de création ?
C.C. : Je travaille encore « à l’ancienne », à la peinture et au crayon sur du papier, et j’utilise partiellement l’informatique pour retoucher, mais je n’avais pas anticipé toutes les étapes  d’une image animée et j’ai mis un peu de temps à rentrer dans cette nouvelle temporalité. J’ai dû détourer toutes mes images, une par une, et, je crois, les feuilles et les arbres d’une forêt entière! Mais je trouve le résultat incroyable.

A l’instar de France, vous diversifiez vos activités autour de la création. Vos boîtes, pour ce que j’ai pu voir sur votre site, sont superbes. J’y ai même retrouvé des illustrations qui figurent dans Eliot. Comment vous est venue l’idée de détourner de vieux objets ?
C.C. : J’ai toujours aimé les vieux objets un peu oubliés, j’ai voulu leur redonner une belle fonction : être l’écrin d’un monde marin imaginaire. Je crée dans des boîtes anciennes de petits cabinets de curiosité peuplés de baleines ailées, d’hippocampes, méduses et autres merveilles… qui se sont partiellement retrouvés dans les rêveries d’Eliot !

Les cabinets de curiosité de Céline

Toutes les deux, parlez-nous des enfants auxquels vous vous confrontez ! Pourquoi ces rencontres sont-elles nécessaires ?
F.Q. : Je me nourris des temps d’écriture et de solitude nécessaires à la création mais aussi de ces temps de rencontres. Le partage anime mon envie de continuer à écrire. Dans le conte, je sais tout de suite ce qui fonctionne ou pas dans une histoire. L’écriture à ceci de frustrant que je ne vois pas les enfants réagir à mes histoires. Je rêve d’être une petite souris dans l’ombre d’une chambre d’enfant au moment de la lecture…
C.C. : J’aime dire aux enfants que je rencontre qu’ils ne doivent pas arrêter de dessiner, qu’avec un simple crayon ils peuvent s’évader, inventer, se tromper, reconstruire… Je suis autodidacte et c’est mon enfance plutôt solitaire qui m’a permis de considérer le dessin comme un élément presque magique de ma vie.

Merci à vous deux pour vos réponses et pour cette belle fusion du texte et de l’image. Le rêve d’Eliot est une petite merveille de tendresse, qui se lit jusque dans les regards des animaux de l’histoire.


La complicité entre les deux autrices de ce nouvel album numérique m’est apparue immédiatement. Et si d’ordinaire, une illustratrice (ou illustrateur) travaille « seul(e) » sur le texte qui lui est confié, la connivence entre Laëtitia Peyre (au texte et à la voix) et Anaïs Vielfaure aux images, a été grandissant tout au long de l’élaboration du rendu final, animé et interactif.

Le livre numérique « Petits chagrins et grands copains » regroupe trois histoires très courtes pour les plus jeunes des lecteurs de La Souris Qui Raconte. Il devait initialement porter le titre général de « Histoires à doigts ».
histoire à doigtsLaëtitia, parlez-nous de ces « Histoires à doigts » et de votre approche contée de ce projet.

LaëtitiaJ’ai découvert les Histoires à doigts (ou « jeux de doigts » comme on les appelle également) au détour d’une formation à l’art de conter animée par Ralph Nataf et j’ai tout de suite adoré ça ! Raconter des histoires avec la voix seule était pour moi très intimidant mais ajouter la chorégraphie des mains et détourner en quelque sorte, le regard du public était d’un seul coup, beaucoup plus confortable ! La toute première « Histoires à doigts » que j’ai créée, c’est celle de Léo le Lion (Casse-tête et bouclettes). Mais je ne l’aurais peut-être jamais fait si une amie ne m’avait pas sollicitée pour l’anniversaire de son fils… Léo !
C’est formidable lorsque votre entourage voit en vous des capacités que vous ne soupçonniez pas vous-même…

Quelles différences majeures existent entre les « Histoires à doigts » et « Petits chagrins et grands copains » ?

Laëtitia : Quand Anaïs m’a envoyé les illustrations de Léo, je n’en suis pas revenue ! C’est vraiment comme si elle avait donné corps à ce lion que je ne me représentais pas moi-même. Et pourtant, c’était bien lui, à n’en pas douter ! Après, c’est au niveau de la narration que c’est très différent et aussi surprenant pour moi. Quand je raconte les mésaventures du lion, du lapin ou de la coccinelle, un geste est associé à chaque phrase, il apporte son rythme et découpe le texte. Je peux mettre un silence parce qu’il se passe quelque chose sur mon visage par exemple. Mais dans la version animée et interactive, ce sont les illustrations d’Anaïs qui cohabitent avec ma voix ! Lors de l’enregistrement, j’ai donc pu m’amuser à donner d’autres interprétations, d’autres couleurs et l’habillage sonore ajoute encore une toute autre dimension aux histoires…

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Anaïs, pouvez-vous nous expliquer votre rencontre avec Laëtitia, ainsi que votre démarche créative pour la conception de « Un pois c’est tout », « Toc, toc et hop! » et « Casse-tête et bouclettes »

Anaïs : J’ai rencontré Laëtitia lors d’une soirée pour les intervenants du concept store Happy Families. Je crois me souvenir que nous cherchions toutes les deux à boire, quelque chose de pétillant… la soirée a filé et nous avons échangé nos cartes. J’ai tout de suite été bluffée par ses créations d’« Histoires à doigts », je trouvais l’idée originale, avec plein de potentiel. Cela faisait aussi très longtemps que je recherchais un/une auteur(e) pour travailler sur des projets. J’ai proposé à Laëtitia d’illustrer ses projets. On avait de très belles histoires et toutes les deux plein d’idées.

La démarche créative de la collection a toujours été de travailler images et texte ensemble.
Pour chaque histoire, j’ai proposé à Laëtitia un univers graphique qui devait marcher par coup de cœur. Son avis était donc très important au moment des premiers dessins. J’ai pris mon inspiration, directement à la source, quand Laëtitia me les racontait en live. Je l’ai fait répéter plusieurs fois ! Quand nous étions toutes les deux d’accord, on pouvait alors les présenter. Un travail en duo. Nous avons d’ailleurs créé une page Facebook et Instagram pour nous présenter. Clémentine et Marguerite. Laëtitia est Clémentine, je suis Marguerite.

 

Les trois histoires sont très différentes, pourquoi ces partis pris d’univers graphiques si éloignés ?

Anaïs : Les textes de Laëtitia m’inspirent des choses très différentes et chacune de ses histoires mérite un univers unique. J’aime aussi l’idée des exercices de style (Raymond Queneau) qui me permettent de ne pas m’enfermer dans un seul. Pour la collection, l’objectif était de créer quelque chose de dynamique et une palette. Il fallait que les univers se complètent, tout en racontant des choses différentes. 

Comment avez-vous, ensemble, élaboré le projet et pensez-vous qu’il eut été différent si vous n’aviez pas eu cette grande complicité ?

Laëtitia Des allers-retours oui, beaucoup ! Des idées qui rebondissent les unes sur les autres et en créent de nouvelles… Des doutes, des changements de direction… Des rires ! Surtout beaucoup de rires ! A dire vrai, je ne vois pas comment nous aurions pu faire différemment !
Anaïs : Nous avons travaillé le projet par étapes, avec des brainstormings pour développer les idées d’animation en aller-retour, et en travaillant le sens des images par rapport aux mouvements. Je crois que le forfait de téléphone de Laëtitia a beaucoup beaucoup chauffé, car par moment, la ligne coupait. « On devait être sur écoute », c’est ce qu’on se disait alors en reprenant la conversation de plus belle.
Illustrer le travail d’un auteur que l’on ne connait pas, n’a rien à voir, d’autant plus quand ils ne sont pas des amis. C’est un tout autre travail, moins gai et beaucoup plus hésitant. Travailler en duo, c’est avoir confiance en l’autre et savoir aussi que l’on peut compter sur lui quand on a des doutes. Un duo !

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Racontez-nous également comment, toujours ensemble, vous avez reçu la première histoire animée et interactive, « Casse-tête et bouclettes », qui n’étaient plus les fichiers Illustrator indépendants les uns des autres.

Laëtitia : C’était déjà fou d’avoir des images sur mes mots mais de voir ces images bouger, cela relevait carrément de la magie ! L’ambiance sonore aussi  à laquelle je suis particulièrement sensible m’a émerveillée : c’était, en quelques clics, la jungle au milieu de mon salon ! J’ai parcouru l’ensemble très vite puis je me suis ruée sur mon téléphone pour appeler Anaïs ! Je me souviens qu’elle était très émue d’entendre mon émotion. Je n’ai ensuite eu qu’une hâte, faire découvrir cette première histoire animée à Arthur, mon petit garçon…
Anaïs : Nous avions prévu avec Laëtitia, de nous appeler ce jour-là….Timing parfait pour échanger en direct ! Se projeter d’un dessin fixe à sa version animée, c’est très excitant. On invente des personnages, on réfléchit à des animations, mais tant que le tout n’est pas orchestré, on n’est jamais sûre du résultat. C’est un long travail que nous étions toutes les deux très contentes de voir aboutir. J’espère que nous aurons l’occasion de rencontrer nos futurs petits lecteurs, pour qu’ils nous expriment leurs idées et avis pour chaque histoire. C’est toujours un moment délicieux, c’est là que le fruit du travail se voit le plus. Quand leurs visages s’illuminent et qu’ils s’expriment. Avec les enfants, jamais de triche.

Il ne me reste plus qu’à vous remercier l’une et l’autre pour cette nouvelle participation, et la confiance que vous-mêmes m’avez accordée.
Le temps des vacances approche, alors surtout lectrices et lecteurs, petits et grands, ne cessez jamais de lire… Excellentes vacances et à vous retrouver en septembre pour de nouvelles aventures littéraires avant d’être numériques.


Un alphorêt, c’est une forêt dont les arbres sont rangés comme dans un dictionnaire, par ordre alphabétique, du A au Z ! Pour le A c’était assez facile, mais pour le Z, le W ou le Q, il fallait les trouver, et avoir toute la connaissance sylvestre de son autrice Marie-Laure Depaulis. Quant à leur représentation, Claire Fauché a probablement passé beaucoup de temps dans le manuel de botanique dont il est question dans le récit !

la forêt

L’alphorêt est notre 51publication numérique, et sera notre deuxième co-édition papier, dont j’espère bien que les arbres de cet alphorêt soient tous épargnés. Publication jubilatoire par l’humour et l’originalité du texte et par la richesse et la beauté des illustrations de Claire, et je ne vous dis rien sur l’inventivité des interactions mais vous invite plutôt à découvrir comment planter un dattier ou épiler le goyavier !

Marie-Laure, j’ai eu un immense plaisir à découvrir votre texte, lorsque vous me l’avez confié. Il est tellement original qu’il a forcément une histoire, quelle est-elle ?

XanthocerasLorsque j’habitais en Grèce, au cours d’une soirée à refaire le monde, une très bonne amie à moi a évoqué un souvenir qui m’a immédiatement charmée. Encore étudiante, elle avait planté, tout le long d’une allée de sa maison de famille, vingt-six arbres : chacun avait un nom qui commençait par une des lettres de l’alphabet.
Le lendemain, j’ai accroché une grande feuille de papier dans mon salon, j’y ai dessiné les vingt-six lettres de l’alphabet latin et j’ai passé plusieurs jours à écrire là les noms d’arbres qui me venaient à l’esprit en appelant tout mon entourage à la rescousse ! J’ai arrêté lorsque j’ai obtenu une liste dont les sonorités me plaisaient et, comme Alphaki, je la fredonnais sans cesse !
Au même moment, je jetais sur papier les premières lignes de L’alphorêt que j’ai souhaité devenir une ode à l’acceptation des nouveaux arrivants.

Claire, je me souviens que lorsque je cherchais un•e illustrat•eur•rice pour mettre des images sur les mots de Marie-Laure,Robinier alors que vous aviez décliné plusieurs textes que je vous proposais, celui-ci vous à conquise instantanément. Quel écho a-t-il fait résonner en vous ?

Un texte nous faisant sourire avec ses incongruités poétiques et pointes d’humour, ça ne se refuse pas ! Et c’était l’opportunité de revoir les connaissances en botanique. Je peux me targuer de reconnaître un robinier maintenant, c’est un faux-acacia !

Marie-Laure, quels commentaires sur votre livre numérique en images animées, en voix et musiques ? Et quel écran a votre préférence ?

Je suis enchantée du résultat ! 
Je trouve les illustrations de Claire drôles et très poétiques. Alphaki a le physique qu’il devait avoir et il m’est à présent impossible de l’imaginer autrement qu’avec ses bretelles orange et sa barbe frisottante ! J’aime la brouette tracée en noir sur fond blanc, la palette de couleurs choisie et la singularité de chacun des arbres. L’histoire s’est considérablement enrichie grâce aux images.
Pour ce qui est de l’aspect sonorisé et animé, la musique me semble renforcer les différentes atmosphères et les animations, quant à elles, apportent un soupçon de magie supplémentaire ! Un aspect ludique également.
Il m’est très difficile de choisir l’écran que je préfère. Celui sur lequel on peut dessiner le petit alpha me replonge en Grèce avec bonheur, j’adore la galerie de portraits sylvestres et l’apparition du dattier après lecture du manuel de botanique. Mais j’aime aussi la fantaisie avec laquelle sont rendus les cauchemars et la poésie qui émane du petit voilier glissant sur fond de soleil couchant !
Claire a eu des idées géniales ! 

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Claire : Merci Marie-Laure, ça me fait plaisir que vous accueilliez mes illustrations avec autant d’enthousiasme. Merci pour votre texte aussi.

M.-L., vous qui êtes aussi conteuse, et m’aviez confié vouloir lire votre texte, comment avez-vous entendu la lecture de Thierry ?

J’ai souvent raconté cette histoire, et je la raconte bien sûr encore avec plaisir. Je ne tenais cependant pas absolument à l’enregistrer pour le livre et la version que propose Thierry Ragueneau est parfaite ! Il a ce petit sourire dans la voix qui va très bien à l’alphorêt !

Claire, nous n’en sommes pas à notre première collaboration, et « Conte du haut de mon crâne » reste le must de La Souris Qui Raconte. C’est vous qui aviez (en 2011) fait toute l’animation en Flash. Expérience renouvelée plus tard avec « Le livre papillon », que vous aviez traité d’une tout autre manière. Vous savez donc « animer ».
Pour cet ouvrage-ci, vous avez, avec une infinie minutie, préparé chaque étape des animations, ou interactions que vous souhaitiez. Celles-ci ont été faites (et sous traitées) en html5, et html n’autorise pas ce qu’autorisait Flash, c’est frustrant pour nous aussiLà où nous étions presque dans un dessin animé avec Conte, j’ai bien senti votre déception avec « L’alphorêt ». Le résultat pour vous n’était pas satisfaisant. Avec le recul, et les analyses que vous avez recueillies auprès de vos amis, qu’en pensez-vous après sa dernière lecture ?

Il faut savoir y trouver son compte et faire des compromis et surtout, reconnaître la masse de travail et la bonne volonté de l’équipe. Mon entourage n’y voit que du feu de toutes façons !

M.-L.Vous avez déjà prévu de le montrer en bibliothèque, avez-vous une idée de la manière dont vous vous y prendrez ?

Je serai sans doute tentée de raconter l’histoire avant de dévoiler le livre, comme je le fais pour d’autres récits que j’ai publiés. Puis il me paraît indispensable, dans un second temps, de laisser les lecteurs explorer et découvrir seuls les trésors cachés des animations…

Merci à vous deux pour votre confiance.
Merci aussi à Sabine Chalaguier et Prakash Topsy, pour « la masse de travail » accomplie sur les animations et interactions, car dans ce livre, on déplace et plante des arbres, on en arrose d’autres. On aide Alphaki à épiler le goyavier et on mange son fruit délicieux ! Mais surtout, surtout… on découvre cet arbre étrange à la feuille unique !