« Une tortue grande comme ça ! » est désormais disponible en streaming et HTML5. C’est le 50e ouvrage publié aux éditions La Souris Qui Raconte. Le texte est signé Emilie Chazerand, à qui l’on devait déjà l’excellent « Il suffit parfois d’un cygne », et Jacinthe Chevalier en a réalisé les illustrations. C’est plus particulièrement vers elle que je me tourne pour connaître (peut-être) quelques secrets de fabrication.

mon_ptit_visageJacinthe, dans votre bio on peut lire que vous dessinez toujours des animaux avec un nombre de pattes impair. Vous vous êtes d’ailleurs posé la question à la lecture du texte d’Emilie de faire une tortue à cinq pattes et plus, alors qu’elle nous précise bien que sa tortue, prénommée Frida « avait quatre pattes vertes, une petite queue de limace, une tête rigolote et une belle carapace. » Alors, un toc ou une raison plus occulte ?

Bébête à 11 pattes
Bébête à 11 pattes ©Jacinthe Chevalier

Oh là là ! Ça fait déjà pas mal d’années que je fais ça (principalement en version 3 pattes). Je trouvais ça drôle, au début, ensuite l’habitude s’est installée, puis après c’est devenu « mon style ». Visuellement je trouve ça mieux (excuse-moi « Dame Nature »). De mon point de vue 3 c’est parfait comme image. Ça fait plus « carré », plus « logo », plus schématisé. Après, je suis restée avec cette idée de l’impair même quand les animaux s’allongent.
La chenille aura 11 pattes et non 10, même si au final ça ne change pas grand chose rendu à ce point. Des fois, par contre, j’oublie. J’ai des livres avec des illustrations d’animaux avec 10 pattes. C’est une erreur, je vous assure ! Quand les enfants travaillent à partir de mes illustrations, c’est rigolo de voir combien tout est fidèlement reproduit SAUF, souvent-très-souvent, le nombre de pattes qui est de 4, presque toujours. On m’a aussi contrainte à faire des personnages avec 2 jambes lorsque j’en faisais 3, même si ça ne changeait rien au texte. Je trouve cela dommage et rigide.

J’ai appris, au cours de l’élaboration de votre création, que vous travailliez toutes vos images en même temps, pouvez-vous nous en expliquer les raisons, et comment vous vous y prenez.

J’ai besoin de surprises tout au long du processus je pense. Déjà, le travail avec un client à qui je dois présenter des croquis au début du projet (c’est normal) me donne souvent la sensation de m’enlever un très grand plaisir. Je n’aime pas avoir une idée précise d’où je m’en vais, ou trop savoir à quoi le projet fini ressemblera. Pour certains, même si je pense que ça génère aussi pas mal de frustrations, ça les rassure de savoir. Pas moi. J’aime m’amener ailleurs à mesure que j’avance. Je trouve ça beaucoup plus facile de travailler « par couche ». Commencer, par exemple, avec une couleur jaune que j’aime à ce moment précis. Je la mets partout où elle est nécessaire et ensuite je passe à autre chose, que j’ajoute où il est possible sur chaque illustration. Tranquillement toutes les images se construisent mais je ne sais toujours pas quelle sera la prochaine étape. J’adore ça ! Au fond, je travaille l’ensemble comme si je faisais un tableau. Couche après couche et un jour : PAF ! c’est fini ! Je suis toujours surprise quand je m’aperçois que je termine. Je ne le vois pas venir. Je trouve que c’est aussi une bonne technique pour avoir une uniformité dans les illustrations. En travaillant différemment, j’aurais du mal à garder la même constance de la première à la dernière image.

C’est la première fois que vous participez à la création d’un ouvrage numérique. Comment l’avez-vous appréhendé ?

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Oui c’est la toute première fois. En plus, je ne suis pas très bien équipée côté machine du XXIe siècle alors je n’ai pas souvent vu ces œuvres-là. Je suis encore très « papier » pour les livres. J’aime l’objet. Je présente mes excuses à tous les arbres de la terre, soit-dit en passant ! En même temps, c’est quelque chose qui m’intrigue car je vois le potentiel du numérique. Mon meilleur ami fait des jeux vidéos et ça me fascine beaucoup les possibilités d’animations et d’interactions que permettent l’écran ! Ça me donne toujours plein d’idées lorsque nous échangeons lui et moi. Connaître et imaginer « les possibles ». J’adore aussi, depuis des années, les gifs animés sur internet. Les mouvements en « loop » qui recommencent à l’infini. Quand j’écris des histoires je vois souvent mon histoire en petites animations de ce genre. Bref, pour moi c’était vraiment un défi le fun de faire ce projet et ça ne me faisait pas (assez) peur.

Voulez-vous dire que cela s’est avéré plus complexe comme création que celles auxquelles vous êtes habituée ?

Une tortue grande comme ça_03

Oui ! Au départ j’étais vraiment confiante ; je me disais « facile-bébé-fafa ».  Je sais comment ça marche l’animation et le découpage. J’en ai fait au cégep (collège d’enseignement général et professionnel) et à l’université dans mes cours d’arts. Or là, au lieu de seulement faire une image fixe, il faut penser à plusieurs éléments qui bougeraient aussi. Il ne faut pas que ce soit trop pareil non plus d’une image à l’autre. Il faut aussi que ça soit facilement animable. Une fois à la table à dessin, j’ai trouvé ça bien plus compliqué de trouver toutes mes idées. Puis, pour arriver au projet final, c’était beaucoup plus d’étapes que je n’avais imaginé. Ça reste simple mais ça prend pas mal de temps de bien penser comment séparer les « morceaux » qui bougent. Il faut aussi que la personne qui anime comprenne. Ce n’est pas juste mes fichiers à moi (qui sont souvent n’importe comment, avec des noms niaiseux). Au final c’est bien plus de temps que de faire une illustration statique. J’ai été surprise du temps supplémentaire qu’il m’a fallu. Et il s’additionne vite !

Votre plus belle surprise à la découverte du BAT numérique ?

C’est toujours une grande grande grande surprise de voir ses dessins prendre vie. Il y a quelque chose de magique là-dedans et de curieux. Ça me fait presque peur. Je savais ce qui allait bouger mais je ne savais pas que les parties pouvaient bouger de cette façon. C’est au-delà de ce à quoi je m’attendais. J’ai aussi bien rigolé ! J’ai redécouvert l’histoire.

Avez-vous un regret ?

Je ne crois pas. Quand un projet est fini, habituellement, c’est FINI et je n’aime pas y revenir alors je ne me dis pas « je referais ci ou ça ». Illustrer des histoires, c’est un long travail et j’aime bien passer vite à autre chose. C’est un défi pour moi de travailler longtemps sur le même ouvrage. Vraiment.

Et un désir ?

J’aimerais vraiment refaire des images à animées. Des histoires pour enfants, pour des jeux ou des applications. Mais c’est sûr que ce que j’aime le plus au monde entier, c’est de construire des images sans avoir de plan précis. À partir d’une tache, d’une couleur, d’un trait, etc. Et voir où ça m’amène. C’est vraiment ça qui me fait « tripper bin raide* ». Tout comme mon processus créateur : j’ai aucune idée de là où je vais. Mais j’y vais !

* le kif absolu (NdT), je rappelle que Jacinthe vit dans sa grotte à Montréal !


Et voici qu’est paru un tout nouveau très beau livre, qui nous vient d’Afrique. Magnifiquement narré par la voix de son auteur et superbement illustré, le récit nous transporte dans un monde où les us et coutumes diffèrent sensiblement de ceux que nous connaissons ici, en Europe. Dans « Mon garçon, ma fille » Kouam Tawa et Fred Sochard nous parlent avant tout d’amour filial. Universel !

Mon garçon, ma fille

Kouam, le sujet que vous abordez dans votre très beau livre soulève deux questions à l’approche périlleuse, la polygamie et le genre. Le notable de votre histoire a fait le choix de n’avoir qu’une femme et s’enorgueillit d’avoir une fille, plutôt qu’un garçon. Etes-vous plus européen qu’africain ou bien est-ce un autre message que délivre votre récit ?
« Dans ce village, on dit que le notable… », quel est ce village ?

Loin de moi l’idée d’être quelqu’un d’autre que l’Africain du Cameroun que je suis ! J’assume pleinement mon africanité, mais n’arrête pas de m’interroger sur la pertinence des valeurs dites africaines dans le monde d’aujourd’hui. J’ai écrit cette histoire en hommage à ceux qui osent leur vie et la réinventent vis-à-vis d’eux-mêmes, plutôt que de suivre les chemins tracés par les autres. Le village dont il est question est un décor que l’on peut situer ici et là en Afrique.

Comme je le dis en préambule, ce texte parle surtout d’amour ; de l’amour d’un homme pour sa femme et son enfant. La poésie du texte associée aux images est très forte. Un secteur littéraire dans lequel vous êtes très prolixe, alors que c’est une littérature difficile, comme le théâtre d’ailleurs non ? Pourquoi ce choix ?

Oui, la littérature pour la jeunesse est difficile, tout comme la littérature dramatique. Elles sont néanmoins mes genres de prédilection parce que je vis en Afrique. Je suis arrivé à l’écriture par la poésie mais je n’ai pas tardé à me mettre au théâtre parce que c’est le moyen d’atteindre le public sans passer par le livre si peu lu dans nos contrées. Comme la lecture me semble indispensable à toute personne comme à tout peuple qui veut s’ouvrir au monde et élargir ses horizons, je fais de la littérature pour la jeunesse pour apporter ma petite pierre à l’éveil à la lecture des enfants d’ici et d’ailleurs.

Et si vous nous parliez un peu de l’Afrique et de comment vous, Kouam Tawa en êtes arrivé à proposer un texte (même deux puisque nous auront cette deuxième joie début 2019) à La Souris Qui Raconte.

L’Afrique est une terre de poésie autant inspirée qu’inspirante. J’y ai l’imagination sans cesse débordante et je vois rarement un groupe d’enfants sans me demander ce que je peux raconter pour aiguiser leur curiosité. Comme ils sont friands de téléphones portables et de tablettes tactiles pour les jeux qu’ils contiennent, je me suis un jour demandé s’ils ne s’intéresseraient pas davantage à la littérature si elle leur parvenait par ces médiums… et cette question m’a mis sur le chemin de La Souris Qui Raconte.

Vous venez d’être publié chez Rue de Monde avec « Danse, petite lune ! » et l’illustrateur est aussi Fred Sochard, un hasard à votre avis ?

9782355044533_500x498J’ai lu dans ma jeunesse le livre de Karl-Otto Schmidt sur le hasard et j’ai tendance à penser comme lui que le hasard n’existe pas. Il m’est difficile de considérer comme fortuit le fait que deux de mes histoires pour enfants auxquelles je tiens le plus aient été, sans que j’y sois pour quelque chose, illustrées par le même artiste.

Fred, je te retourne la question, est-ce vraiment un hasard cette double association dans un temps si rapproché, « Danse, petite lune ! » est paru en mars dernier, ou bien as-tu une autre explication ?

Un hasard du calendrier, oui. Mais sans doute pas  un hasard pour le choix des éditeurs de me proposer d’illustrer ces textes de Kouam, puisque j’ai déjà pas mal exploré les ambiances et la culture africaines : livre sur les masques chez Père Castor, contes africains chez Flammarion, les arts premiers pour la revue Dada. Plus largement,  j’adore l’art africain et je pense que ça se ressent dans mon travail. Ça fait pleinement partie de mes sources d’inspiration. J’aime aussi la littérature africaine. Alors… d’une manière ou d’une autre, peut-être les éditeurs associent-ils mon univers à ce continent ?

Notre rencontre remonte au salon de Montreuil de 2016 où tu étais en dédicace sur le stand de mes co-éditrices papier L’Apprimerie, lequel jouxtait celui de La Souris Qui Raconte. Tu n’en es donc pas à ta première expérience numérique. Tu nous racontes ?

Ce sera mon deuxième ebook mais le premier conçu en tant que tel dès le départ. J’ai eu un album « papier »  adapté ensuite en format numérique : « Le casque d’Opapi », chez l’Elan vert. J’avais donc retravaillé un peu mes images et fourni des calques sur indication de l’animateur.  Ce qui est nouveau et qui m’a emballé sur « Mon garçon, ma fille », c’est le fait de le penser de prime abord pour être animé. Du coup, on crée ses images et son univers avec ça déjà en tête, avec l’envie d’en explorer les possibilités. C’est très enthousiasmant !

As-tu travaillé de façon différente et comment as-tu appréhendé ce texte de Kouam, alors que tu venais de terminer « Danse, petite lune ! » ?

Je me suis bien sûr posé la question de rester dans la continuité de Petite Lune ou de trouver une nouvelle écriture. On a à nouveau une fillette et ses parents, j’avais envie que ce soit vraiment une autre famille. Mais la question a disparu d’elle-même quand j’ai commencé à travailler « Mon garçon, ma fille », en cherchant planche7un style qui fontionnerait bien pour le format numérique. Je suis allé vers quelque chose de moins fortement graphique, un peu plus rond. Ce format demande plus d’immédiateté, de simplicité, j’ai pensé les écrans comme autant de petits tableaux naïfs. D’autre part, le texte n’étant pas tellement narratif, il fallait inventer des mises en situation pour ne pas être répétitif : au début on découvre le village et ses habitants, puis on rentre peu à peu dans l’intime de la famille et de la fillette. Ce qui est sûr, c’est que j’avais fait un gros travail d’imprégnation et de recherche pour « Danse, Petite Lune ! » qui m’a servi pour « Mon garçon, ma fille » : village, costumes, coiffures, etc. En tous cas, le point commun aux deux, c’est que les textes de Kouam sont très beaux !

Kouam, de la même manière que je vous ai demandé de lire votre propre récit, celui-ci étant trop « africain » pour ne pas en avoir la couleur, Michel a demandé comme une évidence que la musique soit elle aussi locale. Elle est signée d’un jeune musicien burkinabè, Sibri Ablassé Zongo. Comment l’avez-vous connu vous qui vivez au Cameroun ? J’ai vu qu’il pratiquait aussi le théâtre…

Je vis au Cameroun mais mes activités dans le domaine du théâtre m’amènent à beaucoup voyager en Afrique, en particulier au Burkina Faso où, en plus d’animer des ateliers de dramaturgie, je coordonne un programme de rencontres du projet Récréâtrales pour lequel je sollicite des musiciens. C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance d’Ablassé qui assurait la musique d’un spectacle de théâtre. Il m’a tout de suite séduit par son talent.

Fred, de ton côté tu as découvert lecture et musique avec la soumission du BAT numérique, un commentaire ?

Un bonheur ! Tout à coup, ça devient vivant ! Ça rend plus fortes les émotions. Que ce soit tendresse, rire, joie…  Par exemple, la tête du lionceau qui bouge pour câliner la fillette, c’est tout attendrissant… Fondant…

 


La publication de ce nouvel ouvrage « Les 8 recettes magiques de la forêt des contes » ne déroge pas à la règle. Je vous propose donc de passer un peu de l’autre côté du miroir en découvrant quelques talents cachés de nos auteurs Camille Berta au texte et Julie Eugène aux crayons !

Camille, « Les 8 recettes magiques de la forêt des contes » est un livre de la collection à inventer, une collection qui demande pas mal de gymnastique rédactionnelle puisque le livre est en arborescence. Le cheminement de nos deux héros, Blanche Neige et son Prince, est en effet non-linéaire. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez construit ce récit.

Une fois l’idée de départ trouvée, j’ai dessiné un schéma avec les grandes lignes du cheminement des deux personnages en fonction des ingrédients qu’ils devaient collecter pour aboutir à chaque recette. Puis, j’ai pu me laisser aller au plaisir de l’écriture (en gardant toujours un œil au schéma général de l’histoire) : imaginer des rencontres avec les personnages des contes, m’amuser avec les dialogues, inventer des situations incongrues, introduire des références… Le nombre de personnages et la nécessité de faire à chaque fois les présentations a été une contrainte. J’ai retravaillé plusieurs fois le texte pour le raccourcir tout en essayant de préserver ces petits clins d’œil.

BN et le P

Vous avez également eu l’idée de proposer la confection de recettes, que les enfants peuvent reproduire à la maison. Les 7 Nains sont endormis et à tour de rôle, Blanche Neige et le Prince partent collecter des ingrédients dans la forêt des Contes. L’enfant lecteur doit cliquer sur les ingrédients pour progresser dans son aventure. Avec l’engouement qui se développe autour des thématiques culinaires, je gage que l’idée séduise !

fiche_recette_2_23_cake_sucréMon projet initial était justement d’aborder les contes par le biais des recettes. La cuisine occupe une place dans la plupart des contes du répertoire traditionnel (une pomme chez Blanche Neige, une galette et un petit pot de beurre avec le Petit Chaperon Rouge, sans parler des bonbons pour Hanzel et Gretel…). Et puis, j’aime l’idée de faire entrer la magie des contes dans la vie de tous les jours. Je suis sensible à cette rencontre entre vie réelle et imaginaire, que les enfants comprennent et les adultes parfois un peu moins. Je me réjouis à la pensée que les enfants vont imprimer et concocter à la maison la recette du « crumble à préparer avec des pommes qui n’ont pas été empoisonnées » ou celle du « cake qui plaît aux 7 nains et aux amateurs de thé ». Je leur ai d’ailleurs réservé des surprises dans la rédaction de ces recettes. J’espère qu’ils s’amuseront autant à les lire qu’à les confectionner.

Est-ce que votre autre métier à petitestetes.com, que je vous invite à développer un peu, associé à vos publications chez Auzou vous ont aidée ?

J’ai créé petitestetes.com en 2006, un site qui accompagne les enfants et leurs parents (avec des activités à partager avec les enfants, des conseils et astuces pour les parents, mais aussi des contes et comptines à écouter…). La baseline du site est : Découvrir et inventer le monde. Ouvrir les portes de l’imagination des enfants est mon leitmotiv ! Les activités que je propose aux enfants sur le site petitestetes.com ou dans les livres publiés aux éditions Auzou n’ont jamais autant de sens que quand les enfants se les approprient, les détournent… Je suis particulièrement fière du livre de « Cuisine du monde » publié chez Auzou en partenariat avec l’UNICEF, là encore c’est l’occasion pour les enfants de partir à la découverte d’un pays, de son folklore et de ses coutumes en préparant simplement une recette de cuisine… Je travaille actuellement sur un livre destiné aux « parents » cette fois-ci. L’objectif est de mettre en place un rythme et une organisation familiale pour (re)donner une place à la fantaisie dans la vie quotidienne. Il sortira au printemps aux éditions Dunod. 

Les personnages de Blanche Neige et du Prince ne répondent pas vraiment aux archétypes traditionnels des contes, vous nous expliquez ?

Il était très important pour moi de ne pas limiter Blanche Neige à la cuisine. Nous en avons parlé dès notre première rencontre et nous étions en phase à ce sujet. Dans la rédaction, j’ai été vigilante à ne pas cantonner le Prince et Blanche Neige dans les traditionnels rôles de l’homme et de la femme. Je voulais un Prince qui aime faire la cuisine et qui ne soit pas forcément téméraire…

Julie, avec votre talent tout personnel, vous avez donné vie pour ce conte, à de très nombreux personnages. C’est probablement le livre chez La Souris Qui Raconte qui comptabilise le plus d’écrans ! J’avoue avoir une faiblesse pour le Petit Poucet et ses frères ! Mais comment les uns et les autres sont-ils nés ? Avez-vous une anecdote sur un personnage en particulier ?

Le dessin de personnage demande beaucoup d’attention : recherches et croquis font naître de façon originale chaque petit être dessiné. Je pose mes premières idées sur le papier, puis je donne du temps au temps. Je regarde mes dessins, les range et les redécouvre de nouveau. Cela me permet de les faire évoluer. J’ai une petite anecdote concernant le personnage de Blanche Neige : j’avais en tête un personnage châtain et bouclé. Ma fille de 4 ans voit ce dessin et me dit que cela ne va pas du tout, que Blanche Neige doit avoir les cheveux noirs, une frange et la coupe au carré court (comme elle par hasard !). Le prince, lui, doit ressembler à son petit frère sinon il sera jaloux (bouclé aux cheveux clairs). Bien sûr, ce n’est pas ma fille qui dicte mes choix, mais j’ai trouvé cette remarque amusante et j’ai joué le jeu. Cette coiffure donnait à ma Blanche Neige un côté plus graphique et plus moderne qui correspondait mieux au personnage du texte inventé par Camille. A l’inverse, le Prince bouclé devenait plus angélique et j’aimais bien cette idée là, toujours plus cohérente avec le texte.
La souris revient souvent dans mes livres. A la fois petit spectateur et « histoire dans l’histoire », elle fait le lien entre le lecteur et les personnages. C’est un petit clin d’œil que j’aime bien retrouver au fil de mes histoires.

SOURIS

Jusque là, vos publications étaient imprimées, avez-vous travaillé de façon différente en numérique ?

Dans l’ensemble non, j’ai travaillé à peu près de la même façon : je fais des recherches, puis des crayonnés et ensuite je mets en couleur sur papier à la gouache, crayon et crayons de couleurs. Après, j’ai dû adapter ma technique en réalisant séparément les décors, les personnages, ainsi que tout ce que je souhaitais voir s’animer. Par exemple, pour les personnages de Blanche Neige et du Prince, j’ai dû réaliser des « marionnettes numériques ». J’ai dessiné sur une feuille tout les éléments de façon indépendante : tête, expressions du visage, bras, corps, etc. Puis j’ai tout numérisé et ai reconstitué le personnage en infographie.

Quel boulot !
Vous semblez avoir une belle passion pour les animaux, de ce que je peux en voir, et les éditeurs vous sollicitent un peu pour ce talent là. Est-ce pour cela que vos avez glissé dans « Les 8 recettes magiques de la forêt des contes » toutes sortes de petits animaux rigolos ?

Oui, j’avoue avoir un attrait particulier pour les animaux. J’admire la diversité de formes que l’on peut trouver dans la nature et adore exploiter ce potentiel pour créer des personnages. Je trouve que l’on peut faire passer beaucoup d’émotions ainsi. C’est vrai que l’on me demande souvent de faire des animaux. Dernièrement, on m’a sollicitée pour réaliser « L’histoire du Pays Basque racontée aux enfants », sujet pas très « animalier » de premier abord, mais la demande de l’éditeur était justement d’attacher un intérêt particulier au dessin des animaux.

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Entre vos premiers livres notamment « On l’appelait Lulu, mon grand-père » et vos derniers dont « À plumes, à poils et à écailles » votre style s’est « stabilisé » pouvez-vous nous parler de vos évolutions graphiques ?

C’est vrai qu’aujourd’hui ma façon de travailler est bien définie, elle est le résultat d’observations, de recherches et d’expériences. Je pense que naturellement ce style évoluera encore. Après, on doit aussi s’adapter aux demandes des éditeurs qui parfois souhaitent mettre plus en avant certaines facettes de l’illustrateur.

A toutes les deux cette fois, une question sur cette expérience, en quelques mots comment la qualifieriez-vous ?

Camille : j’ai particulièrement apprécié nos temps d’échanges. Nous avons pu évoquer la spécificité de ce texte dont la construction est assez complexe, sa parenté avec les histoires dont vous êtes le héros et le clin d’œil aux jeux vidéo quand les personnages récupèrent les ingrédients… Que les enfants puissent imprimer les recettes était un souhait qui m’importait beaucoup. Ensuite, voir son texte mis en image est toujours une étape étonnante, j’ai apprécié de pouvoir faire des remarques, échanger avec vous et Julie. Et j’ai été particulièrement sensible aux petits personnages facétieux que Julie a inventés, comme la fameuse petite souris !

Julie : Je trouve très bien d’utiliser les outils numériques d’aujourd’hui pour proposer de nouveaux modes de lecture. Ce qui me plaît chez La Souris Qui Raconte, c’est que l’on retrouve la richesse du graphisme des albums illustrés. Le numérique, avec l’animation et l’interactivité, apporte autre chose que l’album (auquel je suis très attachée !). Ainsi, livres papier et numérique se complètent pour stimuler le plaisir de la lecture !

Un grand merci à toute les deux pour ce livre web qui aura donné beaucoup de mal au développeur Pierre Canthelou qui s’est retrouvé face à une masse d’images dont je vous laisse découvrir le volume avec l’arbre à choix. Notre fil rouge à tous.

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Avec la rentrée scolaire, qui finalement ne date pas d’un mois, j’ai eu quelques demandes étonnantes que je souhaite partager avec vous. L’une d’entre elle nous emmène au Canada, à High River Alberta.

En novembre 2016 déjà, Lesley Doell, facilitatrice et accompagnatrice pédagogique de l’immersion française au Conseil Scolaire de Foothills et Présidente de l’Association Canadienne des Professeurs d’Immersion (l’ACPI), m’avait sollicitée pour tester la collection de livres numériques de La Souris Qui Raconte dans une école. Merrillee Reboullet avait repéré le site LSQR de ce côté-ci de l’Atlantique (Ah, l’enchantement de l’internet…) !
Sans vraiment trouver d’entrée commune, nos échanges s’étaient espacés, pour finalement se terminer en silence.
En ce début d’année, Merrillee Reboullet est revenue vers moi afin de reprendre la discussion là où nous l’avions laissée avec Lesley, et après quelques atermoiements, nous nous sommes mises d’accord sur la formule qui convient le mieux aux deux parties. Les 27 élèves de la classe de Merrillee vont ainsi s’exercer à la langue française avec les livres de La Souris Qui Raconte pendant toute l’année scolaire 2017-18, et en échange Merrillee s’est engagée à me faire un retour d’utilisation. Une pratique qui me manque cruellement et que je serai heureuse de relater ici.
Mais avant ces trois prochains rendez-vous, je voulais faire un peu plus connaissance avec Merrillee que je remercie pour ses très jolies réponses.

 

Merrillee pouvez-vous nous faire une présentation rapide de votre parcours professionnel ?

J’ai commencé à enseigner en anglais en 2003 dans une petite école au fin fond de la prairie de l’Alberta.  Je suis restée dans la région pendant six ans avant de déménager en France. Après y avoir séjourné quatre ans pendant lesquels j’ai enseigné des cours d’anglais à divers étudiants, je suis retournée au Canada, cette fois pour enseigner dans le programme d’immersion française à High River où je me retrouve actuellement.

Comment avez-vous découvert le site de La Souris Qui Raconte, et surtout pourquoi l’avez-vous cherché ?

Je suis toujours à la recherche de ressources qui vont rendre l’apprentissage du français attirant voire ludique pour mes élèves. Puisque mes élèves vivent dans un contexte anglophone, ils n’entendent pas le français parlé dans la rue autour d’eux. C’est uniquement à l’école qu’ils vont apprendre le vocabulaire, la prononciation et la structure de la langue française. C’est une responsabilité que je préfère partager avec les interlocuteurs natifs autant que possible au moyen de vidéos, émissions éducatives et les livres lus à voix haute entre autres, afin de les sensibiliser le plus possible aux accents français divers et authentiques. Je veux également les exposer aux différents styles de littérature pour leur donner le goût de lire par plaisir en français. Je suis tombée sur La Souris Qui Raconte l’année dernière en faisant une recherche internet autour des livres audio et contes lus à voix haute. J’étais ravie de découvrir non seulement les histoires de LSQR lues d’une façon attrayante, mais aussi les petites animations inattendues qui surprennent les enfants et gardent leur attention tout au long du récit. Effectivement c’est réellement « la souris qui raconte », car c’est en glissant la souris de l’ordinateur sur les personnages ou décorations de la page que les informations supplémentaires ou cachées sont dévoilées ! Mes élèves l’adorent !

Pouvez-vous nous parler de votre école, et plus particulièrement de la classe concernée par cette expérience ? Quel âge ont les élèves, quel est leur niveau en Français ?

Notre école a deux voies d’enseignement : l’anglais et l’immersion française. Mes élèves suivent un parcours d’immersion précoce où la plupart d’entre eux commencent à apprendre le français en maternelle ou même pré-maternelle, selon la disponibilité du programme. Quand ils arrivent dans ma classe en 4e année (CM1 chez vous), ils auront eu au moins quatre, voire cinq ans de scolarité en français auparavant. Mes élèves peuvent tenir une conversation prolongée en français, comprendre un message oral assez complexe et normalement quand ils partent pour la sixième année ils lisent les nouvelles ou les romans jeunesse avec une certaine aisance. Bien entendu, ils ne sont pas au même niveau que les francophones du même âge, mais je suis toujours étonnée de constater ce qu’ils peuvent faire avec un français seulement appris et pratiqué pendant les heures de classe.

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Pourquoi avez-vous tellement souhaité conclure cet arrangement « donnant-donnant » ?

J’ai plusieurs raisons pour aimer cette formule. Même si au début c’était une limitation de fonds qui me freinait un peu dans l’accès à ces livres, j’étais attirée plus encore par l’élément de partage qui m’a été proposé.
Premièrement, je suis ravie de pouvoir présenter cette collection à mes élèves. Non seulement ce sont les livres présentés d’une façon créatrice et engageante, mais ce ne sont pas les mêmes histoires que nous avons dans d’autres collections numériques.
Deuxièmement, j’aime l’idée de faire les revues de livres avec mes élèves. Dans mon enseignement je cherche à être transparente avec mes étudiants. Nous discutons souvent et longuement de pourquoi nous étudions une certaine matière ou un sujet particulier. Nous nous demandons ensemble comment une idée apprise à l’école pourrait nous servir dans « la vraie vie ». Et c’est précisément cette année où j’ai décidé de convaincre mes élèves que même si cela semblait un peu plus difficile de lire en français plutôt qu’en anglais, il y a finalement beaucoup de plaisir dans la lecture en français !  C’est un atout de pouvoir lire les auteurs francophones dans leur langue natale. Je voulais les inviter dans l’espace de « lecteur pour la vie » où on discute les livres que l’on a lu, où on donne ses avis, ses coups de cœur, ses recommandations. Ces occasions d’échange « entre lecteurs » sont certainement présentes dans un cours de français.  Cependant, si je parviens à faire « sortir » mes élèves des murs de l’école si isolants pour participer à la vraie vie, d’avoir une audience plus élargie, avec des vrais gens qui parlent français, c’est à ne pas manquer ! C’est donc, le moment propice pour notre classe de participer à un tel arrangement.
Ensuite, c’est aussi un excellent moyen de modeler devant mes élèves le processus d’écriture. En écrivant des parties de mes rédactions devant eux et en sollicitant leurs réactions, leurs idées et leurs mots, je leur montre ce que c’est de chercher le juste mot pour s’exprimer, de reprendre une phrase, car elle manque de fluidité ou parce que sa tournure n’est pas aussi jolie qu’elle pourrait être. D’expérimenter ce que c’est d’avoir ses propres idées critiquées ou éditées.  De savoir que tout cela et bien plus encore, c’est ÇA être écrivain. Comment puis-je en tant que professeur dédiée à ma profession, rater une opportunité pareille ?!
Finalement, j’aime écrire et encore plus en français. Je n’ai pas autant d’occasions que je voudrais pour raffiner mon expression écrite et je cherche toujours les moyens de rehausser mon français pour une utilisation professionnelle, mais aussi personnelle. J’aime avoir les défis devant moi. Pourquoi rester là où je suis quand je pourrais réaliser encore plus ?!

Qu’en attendez-vous ?

Je ne sais pas encore et c’est peut-être cela le plus beau.  Mes élèves ont tendance à me surprendre par leurs capacités !  Et j’ai tendance à leur présenter un projet et voir où ça nous amène, tout en soufflant dans la voile un petit peu pour diriger le bateau. J’attends donc d’être surprise et laisser la créativité nous réveiller.

Savez-vous déjà comment vous utiliserez la ressource, dans quel environnement de travail, en groupe, individuellement, etc… ?

J’ai plusieurs idées. Le logiciel est très bien adapté à la lecture en grand groupe avec un écran interactif. Surtout pour mes plus jeunes, la lecture partagée est idéale au début de l’année, car ils n’ont pas forcement de stratégie efficace en place pour traiter le nouveau vocabulaire dans un texte. Les effets sonores, la lecture à voix haute et les animations tiennent l’attention des élèves, surtout si plusieurs élèves peuvent participer à naviguer dans l’interface de l’histoire.  Mes élèves ont les journaux visuels dans lesquels ils répondent aux informations diverses tout au long de l’année. C’est une approche qui mélange les techniques artistiques avec l’expression écrite pour montrer leur compréhension d’un sujet. L’année dernière nous y avons créé une page pour répondre au récit « L’ogresse » qui mélangeait les médias de peinture, la laine et le papier journal avec l’écriture pour représenter les leçons apprises par les élèves à travers les choix d’Occidiane. Plusieurs de mes élèves ont cité cette page comme page préférée de leur journal visuel pour toute l’année.  Je suis certaine que nous allons employer nos habilités créatives dans nos journaux visuels pour répondre à plusieurs récits.
L’élément auditif des histoires de LSQR rend la présentation très utile pour l’utilisation en petit groupe ou individuellement également. Ainsi ils peuvent travailler l’écoute, l’amélioration de la prononciation et l’agrandissement du vocabulaire. Les élèves qui peut-être ne pourraient pas comprendre tout le récit s’ils le lisaient eux-mêmes, auront plus de succès en écoutant, car ils activent deux domaines langagiers (la compréhension écrite et la compréhension orale). L’élément oral devrait donner accès à la variété de niveaux de lecture que j’ai dans ma salle de classe, ce que je vais apprécier énormément.

© Clémentine Robach
© Clémentine Robach

« Léon et le géant » est enfin sorti ! Mais les géants, tout le monde le sait, ne courent pas vite sans leurs bottes de 7 lieues… Cécile Givernet en est l’auteure, et Vincent Munsch (avec lequel elle partage plus qu’un Léon) en a composé la musique. Une première chez La Souris Qui Raconte. Les images sont signées Julie de Terssac. La voix est celle de Thierry Ragueneau.

Leon_00006La sortie initiale de « Léon et le géant » prévue le 7 avril dernier a connu un petit retard de mise en ligne et je m’en excuse ici encore. Le livre, de la collection à jouer, développé en HTML5 (le 4e maintenant), a donné du fil à retordre à Pierre Canthelou notre développeur en titre — pas si facile le HTML5, hein Pierre !?
Ma première question à tous les deux, quels regards et impressions à la découverte du BAT numérique* ?
Cécile : avant même la découverte du BAT, pour moi la découverte du premier visuel a été très touchante. Le fait que tout à coup ce que l’on a en tête se concrétise… Même si je n’avais pas de vision précise en termes d’illustrations, j’avais beaucoup apprécié ce que j’avais vu du travail de Julie et j’étais impatiente qu’elle s’empare de cette histoire. Et ensuite le voir combiné au travail de conte, d’animation, de mise en son… C’était la cerise sur le gâteau !
Vincent : je me suis dit wahou ! Il y a quelque chose de magique, de poétique… Et j’ai été fier d’y avoir participé, je l’avoue. Je suis toujours fasciné de voir une création émerger de nulle part, que des individus qui ne se connaissent pas arrivent à collaborer pour créer in fine un objet unique, original mais surtout homogène. Le producteur (l’éditeur) n’y est d’ailleurs pas pour rien dans cet unisson.

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© Julie de Terssac donne ses directives d’animation et d’interaction

« Léon et le géant » aborde le thème de la séparation et du temps qui passe. Ce temps qui peut être long lorsque l’on est enfant et loin de sa maman. Cécile, comment sont nés Léon et Letan ?
Cécile : j’écris depuis plusieurs années mais de manière dilettante. L’écriture est une activité assez solitaire et ces moments-là sont rares dans ma vie ! Léon est né à une période où j’étais moi-même loin de ma famille pour des raisons professionnelles. La trame est venue assez vite. Ensuite je l’ai laissée mûrir un peu au fond d’un tiroir pour le reprendre et en peaufiner le style. J’avais envie de systématiser un peu le jeu des rimes, comme peut le faire mon fils de 5 ans !

Les abonnés à La Souris Qui Raconte te connaissent déjà comme voix sur des textes d’auteurs. Je pense notamment à l’émouvant « Conte du haut de mon crâne » de Séverine Vidal ou encore à « Pour tout l’or du monde » de Cathy Dutruch, mais tu as prêté ta voix à onze histoires (fidèle parmi les fidèles) et c’est ta première participation au catalogue en tant qu’auteur. Comment passe-t-on de la narration à l’écriture ?
Cécile : j’exerce un métier dans lequel on est souvent amené à porter plusieurs casquettes. Pour ma part je suis comédienne mais aussi conteuse, metteuse en scène, auteure, marionnettiste, pédagogue… Si les médiums changent, je m’aperçois que ce qui compte avant tout c’est l’envie de raconter des histoires. Alors selon ce que l’histoire raconte, j’ai l’habitude, de par mon métier, de m’emparer de l’outil le plus approprié pour « dire ». Mais pour ce qui est de la narration, je trouve que l’on a une certaine responsabilité dans notre manière de conter et j’espère à chaque fois avoir été au plus près de l’intention de l’auteur.

Tu fais bien de parler de cette intention vis à vis de l’auteur ! Ce n’est pas toi la narratrice de ton propre récit, mon choix s’est porté sur une autre voix. Que penses-tu de l’interprétation de Thierry ?
Cécile : je me suis rendue compte qu’on a réellement sa propre musique lorsque l’on écrit et cela demande un peu d’effort d’en sortir en écoutant quelqu’un d’autre dire ses mots ! Une fois cet effort consenti c’est un vrai régal… J’ai adoré l’interprétation faite par Thierry de Letan et le rythme qu’il a injecté dans le texte.

Lorsque tu m’as proposé ton texte, Vincent était présent et nous avons eu l’idée un peu folle (et inédite) de lui faire composer la musique. Comment cela se passait « à la maison » ? Entendais-tu des choses ? Vincent t’a-t-il impliqué dans sa création ?
Cécile : comme pour la plupart de ses créations, Vincent tâtonne d’abord à son ordinateur. Quand je suis là je tends l’oreille bien sûr, et pointe discrètement ce que je trouve intéressant ! Mais souvent il m’invite à lui donner son avis, plus tard, quand le squelette est bien avancé. Nous avons l’habitude de travailler ainsi et avons besoin de ce regard extérieur. Enfin là pour le coup, d’une oreille !

Et toi Vincent, avais-tu envie de partager ou préférais-tu avancer « secrètement » et ne dévoiler le fruit de ton travail qu’une fois abouti ?
Vincent : j’ai l’habitude de partager mes réflexions et mes recherches avec Cécile. Je lui demande très souvent son avis,même si je suis bien embêté si elle me dit que ça ne va pas ! Mais quand on a la tête dans le guidon c’est bien d’avoir une oreille fraîche qui amène un peu de recul. Cécile est exigeante, et parfois de manière inattendue elle passe dernière moi et me dit « c’est bien, ça tu devrais creuser ».

Peux-tu nous raconter un peu comment tu as imaginé les différents thèmes musicaux de Léon ? Quelles ont été tes inspirations, dans quels sens tu voulais aller ou au contraire ce que tu voulais éviter ?
Vincent : initialement, je voulais une bande-son basée sur des sons naturels et non des instruments de musique. Mais cela s’est avéré laborieux car limité au niveau harmonique et cela venait en conflit avec la voix. Ensuite j’ai imaginé  des musiques créant un contraste entre la douceur de la mère et la force du géant. Je ne voulais pas forcément opter pour une musique enfantine. La difficulté de ce genre d’exercice, est de créer une musique qui soit intéressante et accrocheuse mais qui ne prenne pas le pas sur le narrateur. Elle doit raconter des choses mais ne pas être trop illustrative.  Pour trouver les thèmes en général je joue d’un instrument jusqu’à trouver une mélodie qui me plaît. Il ne reste alors plus qu’à tirer le fil pour écrire le morceau. Mais quand je travaille je remets souvent beaucoup les choses en question, abandonne des idées, y reviens… Je doute beaucoup. Les visuels de Julie ont enfin été une source d’inspiration importante. Sans eux, je pense que la musique aurait été tout autre.

Vous avez également eu avec Michel (ingénieur du son LSQR, pour ceux qui ne suivent vraiment, mais vraiment pas !) des séances de travail, peux-tu nous en toucher quelques mots.
Vincent : c’est très agréable de travailler avec quelqu’un du métier car nous pouvons jargonner librement ! On peut faire les geeks du son. Au-delà de ça l’oreille affûtée de Michel pointait souvent des choses pertinentes contre lesquelles je ne pouvais pas lutter. Nous avons pu travailler assez finement sur la sonorité d’un instrument, l’équilibre général. Mais quand deux amoureux du son se réunissent, ils doivent aussi savoir lâcher prise car le travail est sans fin. Son expérience et sa bienveillance se sont avérées précieuses pour la finalisation du projet.

Une autre expérience commune : vous êtes tous les deux issus du milieu du spectacle. Nous avons eu le grand plaisir, Michel et moi, de venir voir la représentation de « Médée la petite » au Temps des Cerises. Comment s’est faite cette création ?
Cécile : là aussi c’est un travail de maillage des compétences et désirs de chacun. Nous avons reçu un bel accueil du spectacle et nous en réjouissons. À la fois complémentaires et sans concession l’un vis à vis de l’autre, c’est ce qui permet je crois d’avancer. N’est-ce pas, petite souris qui raconte ?!

Un grand merci à vous deux, à Julie aussi pour ses très belles illustrations, à Thierry pour son interprétation et à Prakash et Pierre pour avoir animé et développé ce très beau livre. L’aventure de La Souris Qui raconte conjugue les talents et je m’en émerveille à chaque fois !

*Un BAT numérique, c’est comme un BAT papier (Bon à Tirer) sauf que c’est numérique. Les auteurs et illustrateurs valident l’épreuve avant sa sortie, tout comme ils le font avec un livre papier.