« Tout allait bien, jusqu’à ce qu’Amazon intervienne sur le territoire français, avec son offre Kindle Unlimited. […] » ainsi commence le billet traitant de l’abonnement illimité du livre, sur l’incontournable blog Actualitté.
En lisant cet article, j’ai été prise d’un profond écœurement (pour ne pas dire colère) !
Pourquoi en France, entreprendre et innover s’avère-t-il parfois si compliqué ? Tout le monde s’accorde à dire (et les chiffres en premier), que le livre numérique peine à décoller. Mais comment, bon sang, peut-il en être autrement, alors que les premiers freins semblent émaner des acteurs de la filière eux-mêmes ? DRM, prix trop élevés… et maintenant cette interrogation sur l’offre d’abonnement illimité comme offre possiblement illégale ! Dans un marché qui a montré toute sa puissance en 2010, avec l’arrivée de l’iPad, le recul manque ! Pour preuve, la première étude d’usage du livre numérique réalisée conjointement par SOFIA/SNE/SGDL a été rendue publique en mars 2012. Alors que la numérisation d’ouvrages au travers du projet Gutenberg remonte à 1971…
Si les investigations demandées par Mme Fleur Pellerin, au sujet de ce qu’elle croit « ne pas être conforme à la loi », visaient en premier lieu Amazon, comment pouvait-elle ignorer les dommages collatéraux que cela risquait d’engendrer, l’abonnement illimité du livre ne datant pas d’hier ?
[…] Les premières formules destinées aux particuliers apparaissent quant à elles à la fin des années 2000. Elles sont donc contemporaines de l’émergence des plates-formes de streaming musical. Si ces dernières sont souvent présentées comme antérieures, c’est principalement en raison du fait qu’elles ont eu un impact plus marquant. Elles sont en effet parvenues à imposer, dans leur secteur, le modèle de l’abonnement comme un nouveau paradigme de commercialisation des biens culturels à l’ère numérique, même si la viabilité du modèle, pour l’ensemble de la filière, demeure encore l’objet de débats et d’interrogations. […] *
Publie.net en 2008. Izneo, YouScribe, Youboox, StoryPlayr (et j’en passe), ont suivi entre 2010 et 2013 ! Chacun avec sa ligne éditoriale propre mais avec des fondements communs, rendre la lecture numérique accessible au plus grand nombre, de façon SIMPLE !
Le cheval de bataille d’Amazon SIM-PLI-FI-CA-TION, achat en un clic… certes dans un univers fermé (on le lui reproche assez), mais un service inégalé pour l’utilisateur final. Soyons au moins honnête sur ce point ! La société change et ses usages avec. Pourquoi la lecture ne s’essayerait-elle pas à de nouveaux modèles ? C’est ce qu’ont cru possible les Youboox et consort !
Mais ça c’était avant !
[…] À la suite du lancement par Amazon de son offre d’abonnement Kindle Unlimited, dans un secteur d’activité déjà occupé par quelques opérateurs français, un débat a émergé relatif à la légalité de ces offres au regard de la loi de 2011 sur le prix du livre numérique. La ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin, a fait part le 22 décembre 2014 de son intention de saisir le médiateur du livre de cette question, pour avis. […] *
Avant l’arrivée d’Amazon et son offre illimitée, Mme Pellerin estimait-elle ces services « ne pas être conforme à la loi » ? Pas que je sache… ! Et voilà qu’à la fin 2014 le vilain méchant loup entre dans la bergerie ! Déjà qu’à l’instar d’Attila les librairies disparaissent sur son passage, si en plus ce loup conquérant propose une offre illimitée de plusieurs milliers d’ouvrages à 9,99€/mois, où va-t-on ?
En France on aime bien les bouc-émissaires, celui-ci à le cuir dur, mais quid des conséquences sur nos intrépides entrepreneurs ? Comprenez-moi bien, ce contre quoi je m’insurge c’est la chronologie de toute cette affaire !
Chasse aux sorcières
A la lecture du rapport Engel, que lit-on entre les lignes, si ce n’est la PEUR compulsive du numérique qui étreint le lobby de l’édition ? C’est bien Amazon le catalyseur de ce qui risque de devenir un sacré bazar !
Aujourd’hui, les éditeurs indépendants sont rares et les grands groupes d’édition disposent de leur propre service de diffusion, voire de distribution. Le graphique ci-contre montre la répartition des gains avec un livre papier vendu à 20€. La somme des points 2. 4. et 5. nous donne entre 14,40€ et 16€ contre 1,60€ à 2,40€ pour l’auteur (détail ici) ! Ce que personnellement je trouve parfaitement injuste au regard du rôle indispensable de l’auteur dans la chaîne du livre. Je conçois bien qu’il faille encadrer les pratiques, mais l’argument majeur énoncé par les détracteurs du modèle d’abonnement étant la rémunération de la création… cela me fait bien rire !
[…] Les partisans des offres d’abonnement les présentent comme l’expression, dans le secteur du livre, d’un basculement irréversible dans un âge de l’accès, propre à l’économie numérique. Pour eux, l’abonnement peut être un adjuvant à la pratique de lecture, un levier pour le développement de nouveaux marchés et un moyen de lutter contre le développement du piratage. Les détracteurs de ce modèle doutent du bien-fondé de chacun de ces arguments en faisant valoir que l’abonnement, dont la viabilité économique n’est pas avérée, est inadapté au livre et à la pratique de lecture et qu’il présente donc un très fort risque de perte de valeur pour la filière, ce qui affecterait inéluctablement à terme la rémunération de la création. […] *
La viabilité économique n’est pas avérée… hum et ne risque pas de l’être dans ces conditions ! Quant à la perte de valeur pour la filière, évidemment… ! au vue du graphique, tout le circuit est chamboulé à commencer par la librairie qui n’existe plus dans le modèle de l’abonnement et hop – 6,60€ !
— Chouette on baisse le prix de vente du livre alors, et on augmente les droits aux auteurs !
— Ah mais t’es folle toi !
Et le rapport de conclure :
[…] L’abonnement n’apparaît pas être la condition du développement du marché du numérique, relativement faible en France. Si les freins à cet essor – notamment le niveau de tarification du livre numérique et les modalités trop contraignantes de protection – risquent de favoriser le piratage, l’abonnement n’apporte de réponses que très relatives. Dès lors, compte tenu de l’importance de la régulation pour assurer un développement équilibré de la filière du livre et du caractère insatisfaisant des solutions alternatives, il n’est pas justifié de renoncer au système de régulation par le prix. Le médiateur ne préconise donc pas de modifier la législation. Il revient aux acteurs de la filière de développer, de manière dynamique, des offres légales. *
En d’autres termes, démerdez-vous ! Ce qui était légal ne l’est plus !
C’est vrai quoi, votre business d’abonnement repose sur un modèle que vous avez installé, testé, corrigé (financé… mais ça c’est un gros mot) depuis combien… 3 ou 4 ans, voire plus pour certains ! Et maintenant on vous dit de développer, de manière dynamique, des offres légales, qui n’étaient pas contestées jusqu’à décembre 2014 !
Remercions donc de concert les groupes d’édition, dont je ne puis croire qu’ils n’aient pas inspiré cette étude, parce qu’ils tremblent devant le géant Amazon (qui lui, aura les moyens de trouver la pirouette) au mépris des initiatives et tentatives des opérateurs français !
*Extrait du Rapport Engel sur le modèle d’abonnement illimité du livre