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Le 11 septembre prochain sortira dans toutes les librairies, la version papier du livre numérique L’alphorêt (de Marie-Laure Depaulis, illustré par Claire Fauché) en co-édition avec mes amies de L’Apprimerie. Ce livre papier est le deuxième que nous co-éditons, et m’associer de la sorte est, je pense, nécessaire pour une maison d’édition 100% numérique qui n’est pas dans le circuit de la diffusion/distribution. La publication d’un livre numérique est beaucoup plus simple que celle d’un imprimé, il suffit presque de faire « Envoyer » et hop, c’est sur le web ! Enfin… presque !

Hervé Bienvault, dans le milieu de l’édition numérique on ne te présente plus. Tu es l’actif rédacteur d’un blog « Aldus » qui se fait l’écho de la culture littéraire numérique en y associant presque toujours les supports. Tu as accepté de répondre à mes questions et je t’en remercie.

H.B. : Merci ! Je me focalise sur le livre numérique comme d’autres sur les timbres, les coléoptères ou la cuisine végane… 12 ans déjà, pas trop lassé, cela arrive de temps en temps le coup de blues mais ça passe. Sur le fond je concilie ma passion intacte de la lecture et des petites liseuses, j’avoue que je suis tombé dans la marmite de ces dernières. Toujours la même excitation quand je les découvre, petites, et grandes dernièrement enfin…
Mes lectures sont désormais à 90% sur elles et j’estime globalement que je lis presque 2 fois plus qu’il y a 10 ans, et j’étais déjà dans la catégorie des gros lecteurs, c’est dire… Un bain de jouvence… Pour moi, elles devraient même être remboursées par la sécurité sociale !

Une idée à soumettre en effet, au ministère de la santé ou celui de la culture ?
Le mois de septembre est le mois de la « Rentrée littéraire ». Qu’est-ce qu’elle t’inspire cette rentrée qui revient chaque année avec ses centaines d’ouvrages ?

H.B. : Consterné comme beaucoup je crois. Un raz-de-marée qui n’a aucun sens. Il va surnager une dizaine de livres en fin d’année. Allez 50 on va dire dans la tête des libraires qui s’en rappelleront, …confusément. Le reste pilon, circulez, y’a rien à voir. Cartons et papier toilettes… Le ratio est effrayant… Moitié moins de livres comme il y a 15/20 ans serait revenir à la raison, pour les libraires comme pour les lecteurs. Un système vicié, la traduction du libéralisme effréné à nos métiers en quelque sorte. On dit que l’on va faire quelque chose, on ne fait rien du tout.

Peux-tu nous parler des changements que tu as observés au fil des années ?

H.B. : Plus de titres, tirage à la baisse dû à la baisse très significative du coût de production à l’unité (notamment effondrement des frais fixes). Je connais bien ces aspects-là, j’ai suivi tout cela entre 1986 et 2005, vingt ans au cœur du système. Côté mise en place, même si des efforts ont été faits par certains groupes pour moduler le système de l’office, il reste globalement en défaveur du libraire qui finance le système et qui en meurt à petit feu…

Source BASIC*

La rentrée littéraire 2018 c’est 567 nouveaux romans (français et étrangers), et à l’instar des années précédentes, cette rentrée n’emporte pas dans son tourbillon la littérature de jeunesse. Pour ce que j’ai pu constater, les éditeurs de jeunesse, ainsi que les blogueurs qui traitent de la jeunesse, s’emparent pourtant de l’expression, et septembre est une période aussi prolixe en publication jeunesse. Pourquoi donc ?

H.B. : Je ne crois pas que l’édition jeunesse soit embarquée dans le courant de la rentrée littéraire. Traditionnellement ce sont plus des pics en fin d’année et au printemps. Je me rappelle que chez Albin Michel Jeunesse, octobre/novembre et mars/avril étaient les pics au niveau de la production. Au contraire je dirais, on ne voulait pas brouiller le message avec la rentrée littéraire. En plus, l’édition jeunesse est beaucoup liée à de la production externalisée en Asie avec des rythmes différents. Il faudrait demander à des libraires jeunesse s’il ont vu une évolution. Pour moi la surproduction jeunesse, si elle existe, est plus liée au succès du secteur qu’à la saisonnalité elle-même. Tous les éditeurs dans les années 2000 (ou un peu avant) se sont mis à ouvrir des secteurs jeunesse lorgnant sur la rentabilité de ce secteur.
Pour répondre précisément à ta question, l’activité de l’édition jeunesse me parait décalée sur octobre/novembre, moment où les prix littéraires sont joués. Mais c’est peut-être une erreur de ma part, une évolution que je n’aurais pas vue. J’ai été plongé dans l’univers de l’édition jeunesse entre 1992 et 2001 (chez Albin Michel Jeunesse et avec mes enfants en bas âge), beaucoup moins depuis.

La Souris Qui Raconte et L’Apprimerie vont, à leur petit niveau, venir encombrer les étals jeunesse des librairies, « L’alphorêt » ayant eu son petit succès lors de la présentation commerciale. Mais au-delà des précommandes le circuit d’un livre est complexe, et ce n’est pas parce que tout le stock est « placé » que c’est gagné. De ce que j’ai compris, ça peut même faire assez mal quelques mois plus tard…

H.B. : Oui, retours en janvier. C’est à vérifier, mais je pense que le boomerang est moins brutal que la rentrée littéraire. Il me semble que les libraires jeunesse accordent plus de temps à des livres qu’ils ont aimés, ils sont plus prêts à les défendre. Pour la littérature, cet aspect-là est devenu une fable, c’est 5 semaines et basta. Comme la fable de « défendre un catalogue d’éditeur », la vaste blague… Combien de fois je me suis fait la réflexion pour de très bons livres, je suis sans aucune illusion aujourd’hui. Après, pour des petits éditeurs, difficile de se faire une place sur les tables par rapport à des gros, le problème reste entier je le sais. Globalement je pense que les libraires jeunesse sont encore dans le « temps moyen ou long ». Terminé pour la littérature. Je ne sais avec quel diffuseur/distributeur vous travaillez.  Il faut absolument que vous alliez défendre vous-mêmes vos livres dans des librairies jeunesse de référence, à la fois pour prendre la température et évaluer votre potentiel, mais je pense bien que vous l’avez déjà fait.

Oui, enfin c’est surtout le travail de L’Apprimerie ! Pour ce qui est de nos partenaires diffuseur et distributeur, il s’agit de CED Cedif et POLEN. Donc pour continuer la réflexion, des soucis et des coûts qui n’existent absolument pas avec les livres numériques…

H.B. : Oui c’est sûr, mais les libraires se fichent complètement du numérique. J’étais encore avec quelques illusions il y a 5 ans, je n’en ai plus aucune aujourd’hui. Comme on dit, il ne faudra pas venir « pleurer » dans 10 ans. C’est le cas dans une moindre mesure pour la jeunesse (épiphénomène), le réveil sera plus brutal dans l’éducation, professionnelle et universitaire (scolaire à voir ?). Tous les éditeurs iront directement si ce n’est pas déjà fait, en tout cas c’est le plan à venir. Pour la littérature, les rayons des libraires déjà rempli à 90-95% de livres de poche, les nouveautés sur les tables pour 5 semaines, le reste sur commande en livre à la demande, comme « avenir du livre » on repassera… Je crois que l’édition littéraire va avoir un réveil brutal dans les années à venir, alors que le numérique devrait être un relais de croissance important, il n’y a qu’à voir comment Bragelonne fait son chemin dans son domaine sans a-priori, lui.

Des raisons pour freiner l’édition numérique ?

H.B. : 3/4 acteurs ont acté entre 2010 et 2015 la « limitation » (la mort serait trop fort) du livre numérique (entente ?) avec des mesures efficaces, DRM, prix, communication (absence de communication serait plus juste). Dès que l’on parle de numérique chez les éditeurs, c’est la peur d’Amazon… On en est là malheureusement. Et après on fait quoi ?

Mais penses-tu que celle-ci se suffise un jour à elle-même ? Tous les pure player (même en littérature adulte) impriment aussi. L’édition 100% numérique n’a toujours pas trouvé son modèle, crois-tu qu’elle puisse en avoir un ?

H.B. : Côté pratique et accès, le message est passé. Le livre homothétique a quand même pris, malgré ce que j’ai dit précédemment. Le relais du livre numérique « augmenté » ne s’est pas fait. Je pense que le public n’a pas forcément vu une plus-value réelle par rapport à tous les contenus présents sur le web de manière gratuite.
Les éditeurs jeunesse ont été embarqués dans le phénomène malgré eux. Quelque chose qui n’existait pas, je me rappelle, du temps du CD Rom des années 90. La situation a radicalement changé.
Et puis l’absence totale de visibilité. « Ah bon, ce sont des livres ? » Donc, on va vers l’imprimé pour exister…
Le 100% numérique m’a toujours paru une vue de l’esprit en littérature, j’en parlais avec François Bon dès les débuts. Pour le livre jeunesse, je pensais qu’il y aurait un espace mais la concurrence du web était sévère.
Est-ce que les choses pourront évoluer ? Oui, je pense, mais il faudra attendre d’autres supports, d’autres modèles de diffusion, certainement du côté des abonnements, c’est de ce côté-là que cela viendra. Mais c’est peut-être l’univers du jeu qui rafflera la mise, j’avoue que c’est difficile à dire, tu dois plus le sentir de ton côté.

Un modèle que j’ai choisi depuis le début, et qui me positionne là où je suis aujourd’hui, avec un catalogue qui croît à raison de cinq titres par an !
Pour finir, de mon point de vue les éditeurs ont freiné le marché du numérique pour des histoires de gros sous ! Enfin c’est ce que je pense, et je crois que tu n’es pas loin de le penser également ?

H.B. : Oui, histoires de gros sous. Des commerçants comme les autres. 

Peux-tu préciser ?

H.B. : Avant les années 2000, les éditeurs avaient le pouvoir. Cela fonctionnait bon an mal an, quelques succès et les droits d’auteurs en valeur d’ajustement.
On peut dire que la double prise de pouvoir de la distribution et des financiers a amorcé un virage radical. Peut-être pas un hasard si la production a flambé finalement sous cette pression. Entre les économies drastiques sur les budgets (éditeurs, relecteurs/correcteurs, fournisseurs) et les programmes éditoriaux de plus en plus fournis pour « faire du chiffre »…
Quant au numérique, comme je le disais, vers 2009/2010, 3/4 personnes ont analysé le marché américain, rencontré les acteurs là-bas, vu ce marché comme une prédation faite par Amazon et Apple à moindre résultat. Comment l’éviter ? On a mis à contribution les pouvoirs publics, l’Europe, lobbying intense, fable de la loi sur le prix unique, TVA, etc. Sur le fond je comprends, il fallait organiser un front, mais peut-être pas une ligne Maginot, on sait comment ça a fini…
Amazon s’en fout, ils sont dans le temps long, auto-publication, livres d’occasion, les drones, le frais, les couches et la télé, le jeu et les matchs de football demain. Ils peuvent attendre de voir les libraires et certains éditeurs disparaître (il y en aura), ils compteront les points à la fin.
Je te parais peut-être un peu cynique et désabusé ! Je vais orienter la suite de ma carrière professionnelle différemment et on en reparlera.
Hahaha, ça vaut dire que tu vas rejoindre Amazon ? Je plaisante, et je comprends ton cynisme ! Là où je te rejoins à 200% c’est lorsque tu parles de ce mécanisme comme la traduction du libéralisme effréné, produire et consommer, très vite, trop vite… Et on n’a même pas évoqué la question des auteurs, au cœur de toute publication, une prochaine parole d’expert, tiens !?

H.B. : En tout cas ravi que vous travailliez ensemble avec les filles de l’Apprimerie, vous faites partie des gens que j’aime beaucoup dans ce milieu, gardez votre fraicheur et la qualité de vos livres, numériques comme imprimés ! Bises à toutes !

Merci Hervé pour cet échange nourri, et bonne continuation à toi, où que ta carrière professionnelle te conduise.

*Un lien intéressant dont ALDUS s’était fait l’écho ici

 


Retour d’usage écrit par Merrillee Reboullet facilitatrice et accompagnatrice pédagogique de l’immersion française en Alberta Canada.

Il n’y a rien de plus émouvant qu’une histoire, sauf peut-être une histoire partagée ! Cette année dans notre salle de classe nous nous sommes penchés sur la lecture. Son pouvoir, son influence, sa capacité à nous transporter, à nous remplir d’émotion et d’émerveillement.  Après tout, c’est l’amour de la lecture qui transforme quelqu’un qui lit en « lecteur avide », qui le pousse à dévorer les livres avec un appétit sans fin.

La beauté des histoires tient à ce qu’il y a de nombreuses façons de les découvrir.  On peut les lire tout seul, bien sûr, on imagine le lecteur dans le calme, s’évadant dans un autre monde, en voyage peut-être loin, mais sans bouger du confort des coussins du fauteuil.  Mais d’autres moyens existent pour magnifier des histoires autrement !  Par exemple, pourquoi ne pas employer la lecture à haute voix ou le récit oral entre amis ?  Et encore, le visionnage d’un film, qui constitue un des moyens les plus recherchés pour raconter une histoire de nos jours.  En effet, notre société a du mal à se délaisser d’une bonne histoire, LA bonne histoire.
Peut-être est-ce parce que j’aime tant partager une bonne histoire que j’étais si résolue d’intégrer les contes de « La Souris Qui Raconte » dans mon recueil de littérature à partager avec mes élèves cette année.  Mais c’est également vrai que mes élèves, en programme d’immersion française, profitent grandement d’un livre lu à haute voix et ceci pour plusieurs raisons.  Premièrement, ils aiment se perdre dans une histoire, donc écouter un livre devient tout simplement un plaisir et un repos au milieu d’une journée chargée.  Deuxièmement, ils ont souvent plus de succès à comprendre un livre lu à haute voix.  Et en lisant ensemble, ils peuvent poser des questions et discuter des passages qui pourraient éventuellement leur poser problème lors de la compréhension.  Finalement, écouter un lecteur français lire à haute voix, fournit des exemples authentiques de l’accent francophone et stimule leur propre lecture et leur expression orale.

C’était donc dans le but de découvrir le plaisir de la lecture que nous avons abordé notre premier titre : « Thibaut au pays des livres ».  Dans la première lecture la classe a tout simplement exploré la présentation du livre avec des éléments interactifs, petites animations et aussi des effets sonores.  Les élèves étaient émerveillés !
La deuxième lecture fut plutôt un récit où, avec les images, mais sans le texte, nous avons nous-même raconté les événements de l’histoire. Ensuite, les élèves, en petits groupes, ont isolé les événements importants du début, du milieu et de la fin de l’histoire, en les mettant  sur un post-it, puis en les collant sur des grandes feuilles.  Ainsi nous avons pu réviser comment tracer le fil d’une histoire en ordre chronologique, ce qui est toujours important, surtout au début de l’année !
C’est important de cultiver des habitudes de bons lecteurs quand on lit.  Lors de ma leçon, les mots clés intégrés dans l’histoire présentaient l’occasion d’introduire une stratégie de compréhension d’un livre. Pendant la troisième leçon avec « Thibaut au pays des livres », nous avons tiré tous les mots-clés que Thibaut a trouvés dans le dictionnaire. Nous avons alors remarqué que c’était avec ces mots-clés qu’il a pu faire vivre ses histoires.  Et si nous faisions pareil ?  Est-ce que les mots-clés nous aideraient à mieux raconter ce que nous avons lu ou entendu ?  Ne serait-il pas plus facile d’écrire un sommaire si nous en avions extrait certains mots-clés ?  Pendant la lecture d’autres livres nous avons testé cette stratégie et trouvé qu’en effet, c’était très efficace.  La classe a donc ajouté cette méthode à ses stratégies de compréhension de lecture à utiliser.  Grâce à cette pratique, les élèves réussissent bien à repérer les mots-clés dans les textes divers.  Merci Thibaut !

POST-IT

 

Un autre titre que nous avons exploré récemment est « Voyage sur les ondes ».  J’ai choisi cette histoire surtout parce que nous lisons un livre, « Résistants à 10 ans » à l’heure du conte. Ce récit a lieu pendant la Deuxième Guerre Mondiale.  Mes élèves sont fascinés par cette période et veulent tout savoir de cette époque.  Donc non seulement  « Voyage sur les ondes » était une diversion pour mes élèves, mais aussi l’occasion d’examiner l’époque avec un regard différent des personnages de notre roman en cours.
Tout d’abord, il faut toujours introduire le livre, ce qui nous prend un certain temps.  Il y a des discussions autour de la compréhension du texte ainsi que les thèmes abordés dans le livre : la famille, le passage du temps, l’utilisation des indices du contexte pour comprendre ce qui se passe (comment s’y prennent les personnages Tom et Léa) et bien sûr le climat social avant la guerre qui est traité si spécifiquement.  Les élèves posaient beaucoup de questions et parfois il fallait les arrêter pour pouvoir finir le livre !

Une initiative chez nous est de rendre la réflexion des élèves plus « visible » en utilisant des routines de pensées.  Il s’agit des différentes routines qui aident les élèves à mieux faire les liens entre ce qu’ils apprennent et leurs vies actuelles ; ou bien qui encouragent les élèves à mieux communiquer leurs idées.  J’ai décidé d’introduire une nouvelle routine de pensée avec les élèves.  Cette routine les a invités à lier les thèmes de l’histoire avec leurs propres expériences et leurs apprentissages antérieurs. Ensuite ils étaient encouragés à approfondir leur recherche personnelle. C’était un peu difficile pour certains, du à la profondeur de réflexion demandée pour une telle tâche.  Mais ils étaient bien motivés d’y travailler parce qu’ils savaient que la prochaine activité les attendait…

DANS LE TEMPSPour l’activité finale associée à cet album, j’ai invité mes élèves à répondre à l’idée centrale de ce livre : le voyage dans le temps.  Plus tôt dans l’année, nous avons officiellement rencontré le conditionnel pour la première fois.  Maintenant je voulais qu’ils explorent ce temps de façon imaginative en créant une page dans leurs journaux visuels.  Je leur ai demandé de finir la phrase « Si je pouvais voyager dans le temps, je… » et puis créer une page artistique qui illustrait leur phrase.  Certaines idées étaient assez prévisibles ; plusieurs élèves rêvaient de retourner à l’ère des dinosaures. D’autres étaient plus réfléchis et révélaient le désir de rencontrer leur propre grand-mère quand elle était plus jeune. Comme toujours, les journaux visuels encouragent les élèves à s’exprimer dans toute leur créativité.

EIFFEL TOWER

J’ai déjà quelques titres dans la collection de « La Souris Qui Raconte » que je planifie de partager prochainement avec ma classe. Je pense également qu’ils sont prêts à commencer à explorer la collection par eux-mêmes.  Ils sont vraiment en train de devenir des lecteurs avides, aspirés dans une histoire, puis une autre.  C’est un plaisir de leur offrir des ressources diverses, tout comme les beaux livres animés et présentés par « La Souris Qui Raconte ».


20 | 02
2017

Et de trois… « Le drôle de chat qui mord » troisième livre numérique nativement HTML vient tout juste de paraître et Pierre Canthelou sera sur ces questions-là mon expert HTML5. Mais, n’est-ce pas ce qu’il est dans la vraie vie ?

Pierre Canthelou (Onzedix), ingénieur en génie logiciel (ça claque) pouvez-vous rapidement nous expliquer ce qu’est un ingénieur en génie logiciel. Quelles études et compétences sont nécessaires ?

Bonjour à tous nos lecteurs et bonjour à vous petite souris. Pour faire court, j’ai un diplôme officiel d’ingénieur maître en mathématiques et génie logiciel, délivré à la suite de 3 ans d’études à l’I.U.P de Rouen. Je ne suis donc que bac+4, je ne sais même pas si ce diplôme existe encore… Il nous préparait à la conception de logiciel, algorithmes, programmation orientée objet, gestion de projet (bon là ils ont vraiment raté leur coup…). Mais, un diplôme reste un diplôme, et j’ai tout appris avant et après. Ma vraie culture informatique s’est enrichie de lectures nombreuses (la plupart du temps des ouvrages en anglais…), d’une veille constante et de la possibilité (ou la prise de risque) de faire des projets avec des technos émergeantes, pour moi ou mes clients. Comme avec vous par exemple !

Comment en êtes-vous arrivé à cette spécialisation ?

C’était pour moi une suite logique : j’ai démarré en 2004 dans la création de sites web, et à cette époque j’ai fait le choix de ne faire que des sites full-css alors que beaucoup utilisaient encore des tableaux ou Flash. Ça a été payant car c’est cette techno qui a pris le pas. Comme je développais aussi avec le PHP, j’ai fait 10 ans de bons et loyaux services dans le domaine de la création de sites… Et quelques applications, mais rien de bien folichon. Avec l’arrivée des terminaux mobiles (téléphones et tablettes), j’avais encore une fois le choix entre une spécialisation (sur iOS) ou garder mes acquis et me lancer dans le « HTML5, l’aventure continue ». J’ai donc délaissé peu à peu le développement de sites au profit des clients m’offrant des perspectives dans la création d’applications, soit mobiles, soit très animées et interactives. Je remercie d’ailleurs La Souris Qui Raconte de m’avoir permis d’embarquer avec vous sur la réalisation de ces livres animés (j’ai trois grands enfants, je leur lisais beaucoup d’histoires, c’était génial, et j’avais envie de créer des livres comme ça).

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Un projet fait pour Mustella

Pour rappel, il y a eu « Ma rentrée colère » collection histoires « à lire », suivie de « PCR Company » collection histoires « à jouer » et le tout beau tout neuf « Le drôle de chat qui mord » collection histoires « à lire » encore. Pouvez-vous expliquer les différences majeures entre ces trois titres et comment le premier vous a permis de décliner plus rapidement les suivants (c’est bien le cas n’est-ce pas ?).

C’est le cas. Le développement informatique a beaucoup évolué, il est moins rare dorénavant qu’un logiciel sorte ou soit développé sans avoir 100% de ses capacités. En tout cas moi c’est comme ça que je conçois mon travail ; ce qui fait que je suis souvent en retard en fait. Parce que dans le développement, on tâtonne (au début), il y a plusieurs manières d’aborder une action ou un algorithme, et les technos HTML5 sont encore jeunes… Pour « Ma Rentrée Colère » je me souviens avoir démarré en utilisant le moteur de jeu Phaser, qui promettait de belles choses. Mais à l’usage et dans la construction même du livre c’était long et complexe. De fil en aiguille j’ai construit mon propre langage pour créer rapidement les écrans, ce qui fait que, entre le code des premiers écrans de « Ma Rentrée Colère » et le dernier, on peut voir l’évolution ! La complexité était dans la déclaration des objets graphiques, leur positionnement puis leur animation, la synchronisation avec la voix et la musique, le poids des images, les passages de pages etc…
Avec « PCR Company » on a changé de registre, il fallait pouvoir cliquer ; là encore j’ai inventé un langage pour faciliter la création des écrans, en complément de ce que j’avais déjà écrit pour le précédent ouvrage. Et là encore, on voit la différence et l’évolution du code entre le premier écran et le dernier. Ce qui me prenait 5 ou 10 lignes de code dans les premiers ne me prenait plus qu’une ligne à la fin (mais j’avais quelque part 15 lignes de code qui permettaient ce raccourci).
Enfin, avec ce dernier très bel ouvrage « Le Drôle de Chat qui Mord », nous avons introduit la notion d’écran double, qui avait un impact sur la gestion des écrans et des flèches de navigation, et des animations, qu’il fallait arrêter et cacher…
A l’heure actuelle, notre moteur, loin d’être parfait, permet de créer des suites d’écrans chapitrés (écrans simples ou doubles), avec musique, voix et effets sonores, des animations d’objets et des actions diverses sur ces objets, et ce avec un minimum d’instructions et de lignes de code (alors que le premier livre ne permettait de faire que des suites d’écrans simples non chapitrés, avec musique, voix et effets sonores, et animations d’objets).

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Exemple de codage de la première scène du drôle de chat

Si vous avez géré les animations sur le premier livre numérique, nous avons décidé ensemble de travailler avec Prakash Topsy (producteur pour le cinéma d’animation) sur la partie animation pour les suivants. Comment votre complémentarité se formalise-t-elle, en trois mots « qui fait quoi » ?

  • Nous recevons le script de l’illustrateur et ses prérogatives d’animations.
  • Nous étudions ces recommandations et définissons ce qui sera animé par Prakash, et ce qui sera de mon ressort, en fonction des mouvements demandés.
  • Prakash réalise des animations et me fournit des suites d’images : de l’animation traditionnelle à la Walt Disney, image par image. On se base sur des cadences de 12 images par seconde, voire 10…
  • Je récupère l’énorme travail de Prakash et transforme chaque série d’images en 1 image qu’on appelle « sprite ». J’ajoute une ligne de code pour informer notre « logiciel » qu’il doit traiter cette image comme une animation, un peu comme un GIF animé.
  • J’anime avec Javascript ces éléments pré-animés (en leur attribuant translation, rotation, …) et les autres.

Par exemple pour les oiseaux, Prakash fait entre 2 et 8 images d’un oiseau en vol stationnaire, qui bat des ailes, que je transforme en sprite ; ensuite j’insère cet objet graphique dans l’écran avec une ligne de code précise, et avec une autre ligne de code (ou plusieurs) je lui commande d’aller d’un point A à un point B de l’écran à une certaine vitesse.

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J’ai quelques angoisses concernant le format HTML5. Pensez-vous que l’on puisse aujourd’hui parler d’un standard ? Le HTML4 a été un standard du web pendant plus de 10 ans (si j’en crois cet article). Quelles différences existent entre la version 4 de HTML et la version 5, avez-vous un avis sur la version 6 ?

Le problème c’est qu’on parle de HTML5 comme on parlait de HTML4+CSS2+JS ; HTML5 ne veut rien dire en soit car on utilise au final toujours les mêmes langages : du HTML, des CSS et du JS. Là où cela évolue, c’est que HTML a de nouveaux TAGs (comme le tag canvas pour le dessin), les CSS se sont enrichis d’instructions d’animations et le Javascript s’enrichit aussi d’instructions d’animations, de gestion de la géolocalisation, des notifications, etc…
Donc en gros, ce qui était impossible à faire il y à 3 ans le devient car l’écosystème logiciel du web s’enrichit de fonctionnalités nouvelles, qui viennent d’ailleurs souvent du monde du portable… C’est pour moi identique à HTML3 et HTML4, la même « révolution » qui n’est en fait qu’une « évolution ».
Donc je n’ai aucune idée de ce que réserve la sixième évolution du web, mais on peut se dire que la possibilité de stockage d’informations, de mise en cache, d’échange direct avec une autre machine, etc. vont pointer le bout de leur nez afin de contrecarrer les applications natives de Apple et Android. Cela va simplifier pas mal de choses !

Avez-vous suivi ce qui s‘opère entre l’IDPF et le W3C. Je suis loin d’être une experte sur ces questions, mais j’imagine que vous avez un avis sur ce rapprochement ? Ça va changer quoi pour des gens comme vous, et par ricochet des éditeurs comme La Souris Qui Raconte ?

Pour être franc, c’est une découverte ! Je vois même qu’il y a une ancienne cliente qui fait partie de l’équipe avec laquelle je bossais pour Magnard. Qu’est-ce que cela pourrait changer ? Techniquement j’imagine qu’ils vont introduire de nouvelles fonctions pour faciliter la conception d’ouvrages (couverture, préface, ligne, pagination, …), ainsi que la lecture (démocratiser la lecture automatique de textes) donc il va falloir, comme on le fait déjà maintenant, apprendre de nouvelles techniques… Rien de bien nouveau. Pour vous ? On peut se dire que ça va faire comme pour la disparition annoncée de Flash. Une refonte des moteurs techniques d’affichage, mais très certainement aucun changement sur le fond.

Alors que Flash (logiciel d’animation) a été le roi du web pendant deux décennies, le voilà déchu et détesté pour cause de failles de sécurité ! Pour avoir entendu dire un paquet de fois « Flash… c’est mort ! » pourquoi HTML (langage de description de pages) ne suivrait-il pas le même destin ? Quelle garantie avons-nous que demain (dans 10 ou 20 ans) HTML(?) ne sera plus HTML(?) mais autre chose et que ce qui marche aujourd’hui ne marchera plus dans 10 ans ?

Le truc c’est que HTML était là avant le Flash. Je pense que c’est une erreur non pas de Macromédia/Adobe mais du W3C d’avoir tant attendu avant d’introduire directement dans le HTML tout ce qui faisait la force de Flash : timeline pour l’animation (le pendant étant les animations CSS et bientôt la timeline JS), dessin vectoriel (SVG), logiciel-éditeur complet. Flash, tout le monde l’aimait parce que l’outil était très bien fait, qu’il permettait de faire assez facilement ce qui était impossible dans une page web, et qu’un graphiste pouvait l’utiliser directement. Dans l’immédiat, on a besoin d’un graphiste puis d’un développeur. En extrapolant, regardez ce qui se déroule avec React ! Ça va faire pareil ! HTML, CSS et JS seront toujours là : ils vont évoluer, intégrer les technos qui auront émergé en avance sous forme de plugins, et ils perdureront.
Pour finir, parler de 10 ans en informatique, c’est comme se demander si les dinosaures pourraient encore fouler notre terre. Ne serait-ce que parce que le matériel évolue trop vite.

J’imagine que vous programmez en HTML pour faire ce que HTML sait faire, des sites web, bien plus que pour « co-créer » des livres comme ceux de LSQR. Que retirez-vous de cette nouvelle expérience ?

Alors en fait non ! J’ai déjà répondu à la question plus haut ! C’est plutôt l’inverse, je préfère largement co-créer avec vous, j’ai déjà fait assez de sites web… Et maintenant avec WordPress, le métier est totalement différent. Je fais en parallèle des sites animés interactifs pour une agence qui bosse beaucoup avec le médical/pharmacie, et c’est très bien aussi. Je me tourne vers l’animation et l’interactivité, c’est un choix d’orientation professionnelle et j’en apprends beaucoup beaucoup avec la réalisation de livres.

Pour avoir pratiqué Flash et sa performance en matière d’animations (c’est quand même ce qu’on fait chez LSQR depuis presque 7 ans, des livres numériques animés), je n’ai pas encore retrouvé cette fluidité avec HTML5, pensez-vous pouvoir me contredire un jour ?

Oui, comme je le disais en début d’interview, au début j’avais envisagé d’utiliser Phaser, un moteur de jeu, moteur qui en fait utilise principalement un objet appelé « canvas », et cet objet permet de faire des animations fluides. Il faut le comparer à un conteneur comme l’était Flash en fait. C’est pour ça que je disais que le HTML absorbe les technos, et les rend finalement plus accessibles. Sauf que pour Flash ils ont attendu trop longtemps.

Autre inconvénient, les questions de poids, ça pèse vite lourd en HTML et je sais que vous bataillez pour trouver des solutions dans vos chargements. Quel régime pour un livre animé et interactif de 30 écrans ?

Notre dernier livre fait 350Mo, nous avons 45 écrans je crois. Il y a un sprite d’animation qui fait 5Mo à lui tout seul… Mais je n’ai pas encore eu le temps de me pencher à fond sur ce problème de chargement et de préchargement, il faut que j’essaye une autre approche en me basant sur les deux approches déjà pratiquées pour ces trois livres. Les nouvelles technos comme Progressive Web App devraient apporter quelques éléments de réponse.

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3 images transformées en une seule pour l’utilisation en tant que « sprite »

Ah oui, une dernière question, pourquoi Onzedix ?

C’est hyper intime !
Onzedix, c’est binaire et informatique : 1110
Et je suis né le onze octobre 1971… 11/10
Avant ce nom, je me faisais connaitre sous « codesign » (co design, code, design), mais j’ai voulu accompagner ma transition vers l’animation numérique avec un nouveau nom.

Jeunot ! Huhuhu !!!
Merci Pierre, j’ai presque tout compris ! et j’espère que nos lecteurs apprécieront ces petites ficelles qui vous sont propres, et participent à l’élaboration de notre beau catalogue. Le virage que vous prenez avec LSQR a été dur à décider pour moi (d’où mes questions sur Flash, afin d’être sûre de ne rien regretter… mais non… rien de rien …). On ne change pas une équipe qui gagne, et je ne me voyais pas relayer Ivan, notre docteur ès Flash sur le banc ! Finalement il a trouvé sa place dans la suite de l’histoire que j’écris un peu chaque jour, puisque lui aussi passe au HTML, mais avec Animate CC.
Mais C une autre histoire !


Alors que le rapport PISA 2016 vient d’être dévoilé et qu’une de mes lectures du moment est « Les lois naturelles de l’enfant » de Céline Alvarez (les arènes), j’ai eu envie de recueillir les impressions d’un professeur des écoles sur un système scolaire français médiatisé.
S’il n’est pas besoin de te présenter aux milieux de l’enseignement, peux-tu le faire ici, pour les lecteurs de La Souris Qui Raconte.

Véronique Favre, j’ai presque 50 ans, je suis professeur des écoles depuis … 20 ans, j’étais formatrice en français langue étrangère (jeunes et adultes) avant ça.
J’habite Paris, j’ai fait la majeure partie de mon parcours en ZEP, Goutte d’Or, et depuis 5 ans je suis sur la butte Montmartre : j’y ai trouvé une vraie mixité.
J’ai une classe de petite section.

On peut lire sur ton blog Doigt d’école que tu travailles avec des tablettes depuis 2011. Peux-tu nous décrire comment celles-ci sont exploitées et comment les enfants se les approprient. Une petite méthode en dix doigts en quelque sorte.

VF : Ils découvrent progressivement (à petites doses) ce que l’on peut faire avec une tablette (pas seulement tuer le temps dans la salle d’attente du pédiatre donc). 
Toujours en lien étroit avec les projets de la classe, en complément, jamais « à la place de », ils envisagent ce support pour s’enregistrer, jouer, apprendre et partager avec leurs familles (nos « créations », les traces des progrès en classe etc). 
Ils se l’approprient chacun à leur rythme. C’est très variable, et peu importe.
Ils créent des objets d’apprentissage, j’en créé pour eux, ils écoutent des histoires, ils jouent, on accède à des ressources (images, musique) c’est vaste. Un peu comme si tu me demandais ce que je leur propose comme activité en arts visuels : je n’aurais pas assez de quelques lignes.

©Beauvoir Schcool
©Beauvoir Schcool

Le salon de Montreuil a fermé ses portes début décembre et j’ai encore en tête les remarques sceptiques de parents et grands-parents. La « peur » de la tablette (et des écrans) est encore prégnante. Quel rapport as-tu avec les parents des enfants de ta classe ? Est-ce que ta pédagogie fait l’unanimité ?

VF : Grâce au blog de classe, où je partage la vie de la classe, les parents sont rassurés : oui, je dose, je sélectionne, je choisis : les élèves ne passent pas leur journée face à un écran mais bien face à leurs camarades. Je suis responsable.
Oui, rassurés, parce qu’ils pensent au départ que je vais l’envisager « comme à la maison ». Mais non.
En réunion de rentrée avec les parents de la classe, j’annonçais que j’avais rendu toutes les tablettes en prêt et j’ai entendu ce cri du cœur d’un papa : « TANT MIEUX ! ».
Nous nous sommes expliqués et j’ai exprimé que je m’en servais comme d’un support complémentaire, un support pensé pour apprendre. Il faut discuter, expliquer.
J’ai ajouté que j’allais tout faire pour en obtenir d’autres ! C’est chose faite.
Le blog de classe me permet de me justifier, (dé)montrer des usages pédagogigues.
C’est assez nouveau à l’école, il faut montrer, partager ce que l’on peut apprendre avec le numérique. Ça ne va pas (encore) de soi. C’est aussi notre rôle à l’école d’expliquer ce que l’on fait avec les élèves qui nous sont confiés.
Au début, ils sont plutôt dubitatifs, puis ils comprennent parce qu’on leur explique.
C’est du même ordre qu’expliquer que la maternelle est une école à part entière, pas une garderie : « oh mais c’est fou tout ce qu’ils font à l’école ! ». Ben oui.

As-tu vu des changements de comportement des parents depuis le début de ta pratique en 2011 ?

VF : Ce sont les mêmes réserves au début. Non, ça n’évolue que très peu.
Ce qui a évolué c’est l’équipement des familles (smartphone et tablettes), et la confusion reste entre usages privés et usages pédagogiques qui va avec : à nous de lever les incompréhensions.

Début octobre j’écrivais un article, sous forme de grande question « Le plan numérique fera-t-il changer l’école ? » Ces acquisitions massives de tablettes, qu’est-ce que cela t’inspire ?

VF : Je suis ravie que de plus en plus d’enseignants se lancent, essaient, aient envie. 
Je crois à un plan numérique raisonné et raisonnable qui va de pair avec un accompagnement lourd des collègues : c’est LA clé de la réussite de l’équipement.
Oui, il peut faire changer l’école car il permet de se questionner, c’est tout. (Et c’est déjà pas mal !)

Tu m’as précisé ne pas avoir lu le livre de Mme Alvarez qui, au passage, est absolument contre les tablettes dans les mains de jeunes enfants. Page 77 de son livre, elle parle d’étayage approprié et de guidance individualisée et plus humanisée pour arriver à ceci. Je la cite : « …Nous sommes des êtres sociaux, notre apprentissage est avant tout social (…) Ainsi, que ceux qui seraient tentés, lors de cette période de forte plasticité, de proposer à l’enfant des jeux prétendument éducatifs sous forme d’applications pour smartphones ou de DVD interactifs, pour développer le nombre d’expériences et d’apprentissage en vocabulaire, mathématiques ou en langues étrangères, sachent bien que les écrans – fussent-ils certifiés « efficaces » ou labellisés « Montessori » – n’ont que peu d’effet sur les apprentissages de nos jeunes enfants. Ils présentent par ailleurs deux inconvénients, qui sont à mon sens des problèmes de santé publique majeurs :
– premièrement, ils privent nos enfants des interactions humaines dont ils ont besoin pour apprendre (…)
– ensuite ils détraquent complètement le système attentionnel de nos enfants. (…) »
Bien que parfaitement argumenté, c’est peut-être un peu péremptoire et je pense que tout est question de nuances. Quels contre-arguments invoquerais-tu ?

VF : Je crois que sur le fond, nous sommes d’accord : le besoin d’interactions sociales.
Sur les moyens d’atteindre cet objectif, c’est là que nos vues sont différentes.
Les apprentissages numériques sont justement riches en interactions avec les autres, dans et hors la classe. Il s’agit peut-être dans les phrases que tu cites d’une méconnaissance quant au numérique à l’école.
La médiation de l’adulte est là pour gérer, réguler leur attention, les faire parler de ce qu’ils sont en train d’apprendre, de voir, d’appréhender.
Non, on ne colle pas des petits enfants devant des écrans …

Jean-Michel Blanquer, auteur de « L’école de demain » (Odile Jacob) était l’un des invités de l’émission 28 mn sur Arte. « Pourquoi l’école ne réduit-elle pas les inégalités sociales », qui n’est pas mon sujet du jour, abordait cependant la question des inégalités de langage dès la maternelle. Mr Blanquer parle d’une école maternelle de l’épanouissement, une école du langage comme fondation pour l’école élémentaire. Ton avis, et tes méthodes au regard de ce postulat ?

VF : Je ne peux qu’être d’accord avec une école qui place le langage au cœur de sa pratique. 
Le numérique pour parler, s’écouter, s’exprimer, s’enregistrer, témoigner l’oral, communiquer, entendre d’autres points de vue. 
Le numérique pour p-a-r-t-a-g-e-r ! 

Enfin une dernière question, à la professionnelle utilisatrice d’applications. As-tu remarqué un changement dans les contenus ? Leur qualité ? Leur mise à disposition sur les stores depuis le début de ta pratique.

VF : La frénésie des débuts (beaucoup beaucoup beaucoup d’apps qui sortaient chaque semaine), du pas cher, du gratuit, du in-app, a laissé place à plus de qualité, plus d’éthique, une exigence venue des utilisateurs, qui ne comprennent pas toujours que les prix qui augmentent sont en rapport avec cette demande de qualité.
Un public à éduquer donc ! 
Je constate aussi la volonté des développeurs de s’entourer des enseignants pour créer au plus près des besoins et ça c’est de la balle !

Un grand merci Véronique, on sent dans tes réponses une vraie passion et un véritable engagement. Et cela me renvoie à un autre passage du livre de Céline Alvarez :
« Ce n’est pas du nouveau matériel qu’il faut faire entrer en priorité dans les classes, mais de la vie, de l’amour, de la foi, de la liberté et de l’enthousiasme. » (page 219)
Toi tu combines les deux, nouveau matériel, amour et enthousiasme. Merci pour eux.
Pour suivre ton travail, il y a ton blog « Doigt d’école » et ton Twitter sur lequel tu es non seulement très active mais aussi très « partageuse ».


Ce semestre, la parole est donnée à Nathalie Colombier créatrice et rédactrice émérite du site DéclicKids, créé en 2011. Son objectif (que l’on peut lire sur la home page du site) est de recenser et décrire des  applications ou des livres numériques afin de fournir des repères à tous ceux qui souhaitent découvrir et comprendre l’offre numérique jeunesse.

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Nathalie, merci d’avoir accepté de te prêter à l’exercice. Mister Google me renvoie un bel écho des consultations de cette rubrique « Parole d’expert » et la tienne (d’expertise) n’est plus à démontrer ! J’ose donc espérer que notre échange en intéressera plus d’un.

Tu me dis avoir mis ton site en sommeil, peux-tu nous en expliquer les raisons ?

Pour exactement la même raison qui fait que je te rends cet interview très en retard ☺ : je n’ai plus le temps en ce moment. Je cours après chaque minute, littéralement. C’est triste, parce que je continue de penser qu’une veille indépendante est la seule manière d’aller vers un univers d’applications (au sens large) riche, éthique et de qualité pour les enfants.

Quel regard as-tu aujourd’hui sur ce parcours qui, s’il est à mon sens parfaitement abouti et maîtrisé dans la conduite de son objectif, s’avère certainement « frustrant » quant à sa résonance auprès du grand public ?

Ah Françoise, tu sais mettre les mots. Oui, tu as raison : c’est frustrant. Je pense qu’il y a plusieurs choses à dire à ce sujet.

Je pense que la plupart des gens n’ont « pas le temps ». Et quand ils en ont, ils n’ont clairement « pas de temps pour ça ». Quand j’ai commencé à chroniquer longuement certaines applications, à analyser leurs forces et leurs faiblesses, à suivre leurs mises à jour (on n’en parle jamais, mais les mises à jour génèrent un travail titanesque, il suffit de regarder le nombre hallucinant de modifications de certains de mes articles), j’ai eu de très nombreuses réactions négatives.

La plus fréquente est : tldr (c’est trop long personne ne lira jamais ça). Quand les articles sont longs, même quand tu mets un « résumé » en haut ou en bas, il y a tout le temps quelqu’un pour te dire que franchement, ce n’est pas comme ça qu’on communique au XXIe siècle. Et pour te donner gratuitement une palanquée de conseils non sollicités sur le « tunnel » de l’écriture web ou les miracles du SEO. Il se trouve que je connais ces principes ☺ Mais Déclickids n’est pas réellement un média. C’est un catalogue, certes amateur, mais ambitieux. Donc les règles de la « com » ne s’appliquent pas ici.

J’ai également reçu des « cours » m’expliquant que les commentaires « négatifs » (ou perçus comme tels) étaient contre-productifs. Les lecteurs détesteraient en effet qu’on leur fasse « perdre leur temps » : ce qu’ils chercheraient serait une recommandation simple et lisible. Ne pas parler de ce qui est moins bien serait donc « la » seule solution. La réalité, c’est que l’une des raisons de la création de Déclickids était justement de pouvoir contrebalancer, au moins un tout petit peu, le pouvoir de la « com » de ceux qui balancent des communiqués de presse, malheureusement souvent repris tels quels par une certaine presse, web comme papier.

On m’a également longuement expliqué que tout cela n’était que mon avis, qu’il ne fallait pas « cracher dans la soupe » et que je ferais mieux de faire comme les « bloggeurs du livre » qui ne parlent que de ce qu’ils ont aimé, vu la densité de la production littéraire. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que je ne prétends pas au statut de « bloggeuse ».

C’est aussi pour cela que je n’ai jamais vraiment « joué le jeu » de la promotion des applications. J’ai fait quelques concours, on a pu me donner quelques codes, mais globalement j’ai dû acheter 90% des applis que j’ai chroniquées, et je n’ai pratiquement jamais fait de promotion. La seule exception était la liste (quasi quotidienne à une époque) des gratuits et des promos, à l’attention des enseignants et des bibliothécaires, qui ont malheureusement des soucis de financement du numérique, qui ont des besoins professionnels, et qui sont des prescripteurs. Je pensais que cette situation serait transitoire, mais elle ne l’est malheureusement pas.

Pour clore cette réponse déjà beaucoup trop longue, je dirais que la frustration est aussi liée au fait de ne pas avoir trouvé (pour le moment) le moyen de développer Déclickids comme je pense qu’il devrait l’être. Là également les conseils ne manquent pas, entre ceux qui me suggèrent de m’associer avec d’autres chroniqueurs (la réponse est « non » si je ne peux pas les rémunérer), ou ceux qui me suggèrent une campagne de dons à la Ulule (pourquoi pas, mais ça demande pas mal de temps de préparation et tout de même un peu d’investissement). J’ai mis un bouton PayPal, mais je peux vous confirmer que tout le monde s’en fiche ☺.

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Depuis l’arrivée de l’iPad en mai 2010, le paysage des éditeurs numériques change et bien peu d’acteurs semblent tirer leur épingle du jeu (quand ils restent debout) ! Rejoins-tu mon point de vue ? Quels commentaires sur ce triste constat ?

Ah oui, c’est très clair. Après quelques mois d’euphorie (avec même quelques levées de fond, les dinosaures s’en souviendront) en 2010-2012, le vent est bel et bien retombé. Le paysage des éditeurs numériques ressemble davantage aujourd’hui à une morne plaine qu’à autre chose, et malheureusement rien ne laisse entendre qu’un « mieux » pourrait se profiler.

Je pense qu’en France (il semble que ce soit un peu différent dans les pays anglo-saxons, même si cela reste à confirmer) la ressource numérique n’est pas considérée à sa juste valeur, dans les deux sens du terme. C’est vrai pour la création littéraire jeunesse, mais c’est vrai aussi dans le ludo-éducatif.

Je pense qu’il manque cruellement une professionnalisation des acteurs qui choisissent et conseillent dans ce domaine. On a besoin que la notion de qualité, qu’on sait je crois faire émerger (dans sa pluralité : il n’y a pas « une » qualité) en littérature ou cinéma jeunesse, devienne un recours réflexe. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, si bien qu’on voit des « curateurs » pointer vers des ressources « merdiques » en prétextant « l’information ». C’est catastrophique de mon point de vue.

Crois-tu que l’intérêt pour les ressources numériques soit moindre aujourd’hui qu’il y a 3 ou 4 ans ? Comment l’expliques-tu ?

C’est incroyable, mais oui. Oui, les ressources numériques n’excitent plus grand monde aujourd’hui (à part l’Education Nationale), alors qu’il y avait un vrai petit vent de folie il y a trois ou quatre ans.

Je suppose que la douche froide opérée par les bilans financiers, année après année, et l’absence de décollage des ventes, notamment en France, explique en partie la désaffection des créateurs de contenus numériques. Quant au grand public, il s’est malheureusement habitué à deux terribles biais : la gratuité (ou quasi-gratuité) et l’absence de repères fiables de qualité. Voir mes réponses précédentes.

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Où en est le projet TOTAM que vous aviez présenté au Salon de Montreuil en 2013 (si ma mémoire est bonne). Reviendra-t-il sur le devant de la scène dans les prochains  mois (années ?) ?

Qu’on se le dise Totam est toujours dans les cartons. En revanche je ne saurai pas dire quand il reviendra sur le devant de la scène.

Personnellement je pense que le concept n’a rien perdu de sa pertinence, et j’adorerais être en mesure de proposer une « expérience culturelle numérique » de qualité aux enfants de notre temps, histoire d’avoir une alternative à Netflix ou à Gulli ou même à Youtube en continu.

Parce que ce qui est triste aujourd’hui, c’est bien ça : nous cédons tous, en tant que parents, à la facilité. Créer pour ses enfants une expérience numérique de qualité, ça prend un temps pharamineux que personne n’a.

Penses-tu, comme on l’entend dire, que les éditeurs papier qui font le marché du livre, freinent l’émergence du numérique ? Et si oui quelles explications (ou excuses) ?

Je pense que, pour le roman, on a récemment franchi un cap et la plupart des éditeurs commencent à trouver naturel de proposer leurs créations en numérique aussi. Parmi les éditeurs jeunesse, certains n’adhèrent malheureusement pas à ce propos, et continuent de ne pas proposer leurs créations en numérique, y compris pour les romans, ou bien opèrent une sélection parmi les romans. C’est désespérant.

Les explications sont peu convaincantes en réalité. Tu as ceux qui disent de manière péremptoire : « les jeunes ne lisent pas en numérique, leur tablette ne sert qu’à jouer » (oui, et bien si on ne leur propose rien de bien en numérique, c’est un peu normal, non ?). Il y a aussi des positions de principe (le livre, c’est du papier, le livre numérique n’existe pas). Il y a également ceux qui s’appuient sur le principe économique (je peux vendre mon roman débutant 5 euros en version papier parce que c’est un objet physique, mais en numérique c’est plus difficile).

En numérique on vend une « expérience de lecture » et pas un livre, c’est différent… Certains éditeurs l’ont compris et commencent à proposer des univers (comme La Souris Qui Raconte d’ailleurs), mais c’est encore balbutiant à mon sens. Et c’est vraiment dommage parce que le goût de la lecture se forge ainsi (par un réseau de lecture) et que le numérique est évidemment royal pour créer ce type d’expériences immersives.

Pour la lecture jeunesse de type album, je ne sais pas si ce sont les éditeurs papier qui freinent, mais il faut bien reconnaître qu’il y a des freins. Le premier, c’est bien entendu le coût. Porter un album jeunesse papier en numérique, ça demande un peu plus de savoir-faire que d’appliquer un algorithme de transformation pondu en 15 secondes dans un atelier à l’autre bout de la planète. Il y a des studios ePub 3 qui savent travailler, mais ils sont rares, et leur travail n’est pas gratuit (ce qui est bien normal).

Conséquences :

  • les albums jeunesse présents sur les stores sont majoritairement de très mauvaise qualité, ne représentent pas du tout la variété et la qualité de la création jeunesse papier, et finissent par décourager les meilleures volontés
  • les quelques bonnes créations sont noyées dans une masse informe et mal organisée ; elles ont d’autant plus de mal à sortir du lot qu’elles constituent autant d’exceptions à la règle.

Bref, le numérique jeunesse est globalement déceptif et ne constitue pas un « univers » suffisamment bien identifié, navigable et compréhensible par les familles (voire même les bibliothèques et les enseignants, pourtant plus « naturellement » attentifs), à la fois en raison de la faiblesse de l’offre, de sa mauvaise qualité quand elle existe (d’un point de vue éditorial et technique) et de son mode de présentation.

Attention ! Il existe une offre de qualité, sur le plan éditorial comme technique. Il existe des éditeurs soucieux de la qualité de leur offre, soucieux des enfants et de ce qu’ils leur transmettent, y compris en numérique. Je dis simplement que cette offre est malheureusement minoritaire et difficile à identifier pour les familles.

Si tu devais conseiller un éditeur jeunesse qui souhaite se lancer dans l’édition pure-player aujourd’hui, que lui dirais-tu ?

Que les conseilleurs ne sont pas les payeurs ? Sans rire, je ne sais pas si je conseillerais à qui que ce soit de se lancer dans l’édition numérique jeunesse pure player en 2016.

Si la personne est passionnée, déterminée et dispose d’un petit pécule de démarrage je dirais de :

  • Bien s’entourer, avec de vrais spécialistes. La création numérique nécessite de nombreux talents : écriture, illustration, ergonomie, game design, sonorisation, animation, édition. J’ai vu trop d’amateurisme, avec de bonnes idées, mais une réalisation qui laisse vraiment à désirer, sur tous les plans.
  • Viser d’emblée l’international, en étant au moins anglophone en plus de francophone dans un premier temps.
  • Donner à sa création numérique une dimension éducative si possible, parce que c’est là qu’est actuellement le seul marché encore un peu vivant. Dans ce cas s’adresser également à des spécialistes de la pédagogie et de la didactique.
  • Ne pas négliger l’aspect « marché » et « écosystème » en se rapprochant des autres éditeurs (au sens large) et des places de marché pour comprendre les tendances et éviter l’isolement.
Secoue la neige…
Wuwu & Co

Pour terminer quelles sont tes trois créations numériques Coup de Cœur de l’année 2015.

Ouh là !! Question vraiment difficile n’est-ce pas !

Alors quelques chiffres pour commencer : j’ai recensé pas moins de 2456 applications (il y a quelques ePubs aussi dans le lot) sorties en 2015. J’ai publié environ 350 chroniques. J’ai également préparé une grande quantité de chroniques qui n’ont pas encore été publiées, faute de temps (peut-être une centaine). Bref, n’en retenir que trois n’est pas chose facile, et évidemment on court le risque que certaines pépites aient pu échapper à ce travail (qui reste, il faut bien le dire, un travail très artisanal de fourmi solitaire besogneuse).

Bon, trêve de précautions oratoires, voici trois propositions, évidemment partielles et partiales, en excluant les jeux et les applications éducatives, qui pourraient aussi avoir leur top 3 ;)…

3 applis :

Le lapin bricoleur CaL
Le lapin bricoleur

3 ePubs :

Merci Nathalie. Tes choix corroborent mes propres « Coups de Cœur » !
A retrouver aussi sur le blog de La Souris Qui Raconte pour David Wiesner’s Spot, Boum!, Wuwu & Co, Le lapin bricoleur, quant à Pour tout l’or du monde, dont la date que tu mentionnes est juste, c’est évidemment un coup de cœur pour moi aussi, puisque c’est une jolie publication LSQR servie par un ePub 3 qui a donné un peu de fil à retordre à mes amies de Carte à Lire.
Et bien voilà, tu n’as pas pu faire court, au grand dam des détracteurs que tu cites plus haut. Mais  tu as des choses à dire ! Qui veut lire lira, et en sortira un peu plus nourrit après cette parole experte (que je partage) sur ce qui me semble bien être un déclin assuré d’une production littéraire numérique enrichie de qualité, trop onéreuse et insuffisamment valorisée !