Brest et sa radeParis-Brest, un gâteau crémeux qui pour moi fait figure de madeleine, et en ce vendredi 24, c’est surtout plus de 8 heures de TGV mises à profit pour vous rapporter la grande journée du SLPJ « Nouvelles médiations sociales et numériques, quels atouts pour démocratiser la lecture ? »
De ma place 25, voiture 12, retranscription studieuse de la richesse des rencontres qui ont eu lieu ce jeudi 23.

Une journée en deux temps : matinée table ronde et retours d’expériences

Au cinéma Le Méliès à Montreuil, Sylvie Vassalo recevait Christophe Evans, spécialiste de la lecture et des usages des bibliothèques, Hėlène Merlin-Kajman, professeure en littérature française à Paris III et écrivaine et enfin Stéphane Bonnery, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Paris 8. Au travers de leurs recherches et expériences, chacun s’est attaché à apporter son point de vue sur le thème de la matinée ! Christophe Evans d’abord nous brosse, en trois temps, un état des lieux du rapport des jeunes à la lecture. Concernant leurs pratiques, la déperdition des gros lecteurs (au moins 20 livres par an) se confirme. De même, plus les jeunes avancent en âge, moins ils lisent. Le rôle du partage premier de la langue (argument fort chez Hélène Merlin-Kajman), majoritairement transmis par la mère, n’est pas sans conséquence sur le sexe des lecteurs. C’est de notoriété, les filles lisent plus que les garçons (trois fois plus de romans). Pour ce qui est de la démocratisation de la lecture, si les sociologues n’ont pas conclu à un échec, Christophe Evans énonce clairement, celle-ci n’a pas eu lieu ! Il souligne que l’élargissement des publics est effectif, mais le rattrapage des inégalités en fonction des différences sociales ne s’est pas fait. Enfin son troisième point aborde la question du numérique. Celui-ci a déplacé les frontières ! Les pratiques, de plus en plus fragmentées, se font en mobilité. A partir de leur ordinateur, objet unique, les jeunes regardent des vidéos, lisent des magazines ou des blogs, fréquentent les réseaux sociaux… Ils sont familiers du numérique mais c’est une erreur de croire qu’ils sont experts comme le rapporte l’enquête « Grandir connectés » ! Christophe Evans conclut à l’importance du groupe de « pairs » qui exerce une pression forte sur les jeunes. Ils n’en reste pas moins qu’ils ont besoin d’une médiation adulte et institutionnelle !
La parole passe ensuite à Hélène Merlin-Kajman. Mère de deux garçons, elle rappelle l’importance de la lecture à haute voix dans la construction du for intime. En s’appuyant sur son dernier livre « Lire dans la gueule du loup » paru chez Gallimard, Hélène Merlin-Kajman revient souvent sur l’importance du partage transitionnel. Les références faites à certains psychanalystes me sont, je l’avoue, passées un peu au-dessus de la tête. Il y a beaucoup d’intelligence (érudite) chez cette femme. Je me contenterai donc de la citer à travers une phrase empruntée à l’introduction de son livre (page 17) qui montre bien que celui-ci est au cœur du débat posé !
Il s’agit pour moi de « la » re-définir* dans la perspective de son partage, c’est-à-dire de sa transmission, donc de son avenir : quelle littérature, ou plutôt, quel usage, quel partage de la littérature est-il important non seulement de défendre mais de promouvoir, voire d’inventer dans et pour des sociétés démocratiques, c’est-à-dire fondées sur ce qu’on appelle le respect de l’individu, la valorisation de son autonomie et de sa liberté (de conscience et de sentiment), non moins que sur les valeurs de la solidarité sociale et de la citoyenneté ? Et pourquoi donc la littérature a-t-elle un rôle à jouer dans cette affaire ?
* la littérature
Stéphane Bonnery, le troisième invité, nous a parlé avec son accent chantant du sud, de la constitution des bibliothèques familiales. Si l’on peut suspecter qu’elles sont de natures très inégales, des formes de démocratisation ont eu lieu, et on n’évolue plus dans un mode binaire (y’en a / y’en n’a pas), en effet, le livre est globalement présent partout ! Là où les inégalités persistent c’est sur le nombre de livres dans les foyers. Stéphane Bonnery explique que le lecteur doit décoder ce qu’on lui dit, ou montre. De plus en plus, le livre possède plusieurs niveaux de lecture (typographique, lecture par page, double page, références aux classiques…) et ces niveaux les rendent souvent inaccessibles aux familles défavorisées. Ce qui pose la question de la médiation. De fait, les livres privilégiés par ces familles sont ceux dont les codes sont explicites. A contrario dans les familles plus cultivées, leur diversité est plus importante.
Après ces trois interventions d’environ 20 min chacune, le temps d’échange qui a suivi n’a pas permis de poser « noir sur blanc » les atouts nécessaires à la démocratisation de la lecture ! Sylvie Vassalo a reconnu être embarrassée avec ce mot « démocratiser » ! Et alors que Stéphane Bonnery regrettait le trop grand nombre d’albums s’adressant aux parents « lettrés », un des autres intervenants (ou lui même peut-être, j’ai oublié) revenait sur la notion de désir et d’appétit de l’enfant !
Des livres à soi
Les invités de la matinée autour de Sylvie Vassalo

La table ronde terminée, les équipes « Des livres à soi » sont venues témoigner de leur expérience à Clichy-sous-Bois et à Lorient.
Ce projet de médiation, expérimenté depuis 2014, propose un accès aux livres à des publics qui en sont privés. Professionnels du livres mais aussi de l’éducation et de l’action sociale sont revenus sur ce qui leur a paru faire la force du dispositif, et ce que cela leur a personnellement apporté. En deux mots : PLAISIR et PARTAGE ! Pour eux, mais aussi pour leurs publics !
Vers 12h45, la matinée touche à sa fin et la température devient torride au Méliès ! Non mais vraiment… il pleut des cordes depuis des semaines, et c’est précisément le 23 juin que Dame Nature nous impose plus de 30°C ! C’est donc moite, que le public (nombreux) s’est dispersé pour déjeuner !

Deuxième temps : un pas de côté, un pas en avant… on bouge et on lit avec la Biblio-connection

Alors bien sûr comme beaucoup j’en ai entendu parler, mais comme beaucoup, je n’en connaissais rien ! En préambule, la Biblio-connection est une bibliothèque numérique interactive qui permet la projection d’ouvrages numérisés de littérature de jeunesse. Ça c’est pas moi qui le dit, c’est ce qui est écrit ! Ce que j’en dis par contre, c’est que c’est un dispositif absolument É-PA-TANT ! Il a été présenté à l’auditoire (moins nombreux que celui de la matinée, les absents avaient du fondre dans l’intervalle) par Julien Renon, comédien et animateur de la Biblio-connection. Un public de testeurs rassemblé sur la scène s’est amusé (je ne crois pas me tromper) à manipuler les livres sous les consignes expertes de Julien. Un détecteur de mouvement, la fameuse « Kinect » de la Xbox 360, fait le lien entre l’application et les livres proposés. Pour bien lire il faut donc un chef d’orchestre adoptant la bonne posture face à la Kinect et le ou les lecteurs. Les livres proposés (encore peu nombreux, mais une demande de financement pour faire les suivants est en cours, m’expliquera Sylvie Vassalo), le sont tous en plusieurs versions. Audio-description, LSF, facile à comprendre (pour les publics atteints de retard intellectuel), version lue… Les forces du dispositif sont de deux ordres. Le premier, son côté ludique qui emprunte aux codes du jeu vidéo avec la Kinect séduit immédiatement les jeunes, le second est le jeu de représentation que le dispositif implique. En effet, l’enfant, chef d’orchestre ou lecteur, est acteur dans une mise en scène qui se joue en équipe. Le dispositif s’invite aussi dans les hôpitaux grâce à des track-balls conçus pour tous les types de handicap.
Il faisait "poite" et sombre
Il faisait « poite » et sombre
Après la démonstration brillante, tant des chefs d’orchestre que des lecteurs, Nathalie Donikian nous a présenté des professionnels qui ont expérimenté le dispositif en bibliothèque et en milieu hospitalier. Ils sont unanimes sur ses bienfaits. Les écouter raconter leurs expériences, notamment un bibliothécaire qui raconte que tous les enfants finissent par se prêter au jeu de la lecture, même celui qui ne le voulait pas au départ, me réjouit et me renvoie à mes propres animations menées avec La Souris Qui Raconte. Evidemment le rôle préféré des enfants reste celui du chef d’orchestre qui manipule, mais au regard de mes publications et de leur exploitation en ateliers, je savoure la similitude !
La journée s’est terminée, liquide, mais avant tout, nourrie des interventions de grande qualité de tous les participants !
Editeurs, médiateurs, professionnels du livre et de la culture, mais aussi des centres sociaux, encourageons nos jeunes, le plus tôt possible, au plaisir du LIRE. Je l’ai déjà écrit, la lecture à haute voix, partagée, écoutée, respectée en est l’un des fondements.

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