Pour celles et ceux qui me font la joie de me suivre, cette interview croisée, entre l’auteur et l’illustrateur du dernier livre mis en ligne, est maintenant un rendez-vous incontournable pour apprécier les arcanes de la création. Isabelle Wlodarczyk et Gaëlle Hersent sont nos invitées pour nous livrer un peu d’elles-mêmes, de ce qui les anime et les distingue autour de « La princesse aux pieds nus ».

Ma première question est pour Isabelle.
En découvrant votre bibliographie (non exhaustive sur le site LSQR) je me suis étonnée de sa richesse d’une part, et de sa qualité d’autre part, pouvez-vous nous dire comment cela arrive.

Tout d’abord, merci ! C’est adorable.
Je suis mal placée pour juger de la qualité de mes livres, je pourrais vous parler plus facilement des défauts que j’y vois. Mais je vais plutôt vous expliquer mes choix : j’écris sur des sujets variés parce que je suis une inlassable curieuse. J’aime bien fureter, passer d’une anecdote historique à un mot farfelu. J’écris aussi sur commande, et là, c’est Oskar éditeur, principalement, qui me souffle les sujets. Ce qui m’anime, c’est de bousculer un peu les enfants, de les emmener dans des univers étranges, poétiques, de les faire réfléchir. La collection de philo « Des mots pour réfléchir », chez Oskar est vraiment représentative de mon état d’esprit : partir du quotidien des enfants pour les mener ailleurs.
Je n’écris pas d’histoires totalement ancrées dans la réalité, en toute honnêteté, cela ne m’intéresse pas. Je préfère les ambiances décalées, les personnages invraisemblables, l’histoire d’un mammouth à l’époque de Louis XIV, une petite fille qui est amie avec une araignée qui n’arrive pas à finir de tisser ses toiles, ou encore l’histoire de cochers hantés par des esprits follets, comme mon roman paru aux éditions Philomèle… Au niveau de l’écriture, j’adore employer des mots qui ont disparu, des mots qui ont des sonorités particulières, ou qui nous transportent vers une autre époque, un autre monde…
Je ne m’occupe pas de la promotion. Par contre, je « porte » mes livres à bout de bras dans les écoles et je suis très heureuse d’y rencontrer mes lecteurs !

Isabelle : Vous êtes en compétition pour de nombreux prix, le Graal pour un auteur ou un illustrateur. Y avez-vous déjà pensé ?

Honnêtement, je n’y ai jamais pensé. Parfois les livres plaisent, et c’est une chance en effet qu’ils soient sélectionnés à des prix – SOUVENT l’œuvre de passionnés du livre qui se sont reconnus dans cet état d’esprit ! Mais cela reste très confidentiel, et c’est très bien ainsi ! Je ne rêve pas spécialement d’un grand prix. J’étais très heureuse l’année dernière de gagner le Prix Livrami, un prix local, décerné par des personnes fantastiques, de vrais amoureux de la littérature jeunesse. Ça vaut tous les prix du monde…

Illustrations préparatoires

Gaëlle : Et vous Gaëlle, si vous deviez briguer un prix, quel serait-il ?

Je ne sais pas du tout, je n’y avais pas pensé. Je ne sais pas si c’est important, cela reflète certainement une reconnaissance par ses pairs, mais à la fois est-ce que le plus important n’est pas la relation du lecteur à l’œuvre, et ce qu’il ressent ? Peut-être un prix des lecteurs alors ?

Isabelle : Je ne suis pas très portée sur les princesses en général, mais j’ai tout de suite aimé Amandine et sa quête de liberté dans « La princesse aux pieds nus » que vous aviez initialement baptisée « La princesse aux petits pieds ». Cela lui va tellement mieux d’être nus pieds ! Comment est-elle née dans votre tête ?

Les poulaines
Les poulaines

Je n’aime pas trop les princesses non plus… d’ailleurs, c’est ma première histoire de princesse. Et c’est une princesse peu ordinaire ! L’idée m’est venue en écoutant une émission de radio. C’était une émission consacrée aux poulaines, ces immenses chaussures que les hommes portaient… par orgueil ! J’ai souhaité écrire un conte autour de ces chaussures, car elles paraissaient à même d’être le symbole de l’opulence et de l’avidité. La princesse aux pieds nus aspire à la liberté, elle refuse les chaussures, symboles de conventions, d’un rang à tenir, d’aspirations parentales, et de bienséances.
C’est une histoire d’amour, nu-pieds. Je voulais au départ faire tout un recueil qui se serait nommé : « Histoires écrites avec les pieds ». Je garde toujours cette idée dans un coin de ma tête !

Gaëlle : Vous avez fait d’Amandine une personne très délicate, pouvez-vous nous expliquer votre interprétation du personnage. Quand on vous confie un projet, comment se dessinent les protagonistes ?

Amandine_serréeJe me suis basée sur la description d’Isabelle, avec la description de la coiffure « telle un croissant de lune ». Amandine est une princesse, contrainte dans le giron de sa mère pendant une partie de l’histoire, toute fine sous l’autorité de cette femme colérique qui prend toute la place. C’est pour cette raison que j’ai essayé de faire une femme imposante pour la mère. En général j’essaie de faire correspondre le design des personnages à leur caractère.

Gaëlle : Angoulême s’est terminé fin janvier, et vous y étiez pour dédicacer votre dernière BD « Sauvage, une biographie de Marie-Angélique Leblanc 1712-1775 » chez Delcourt en … 216 pages ! Tout de même ! Quelles ont été vos implications dans l’ouvrage ?

J’ai été très impliquée dans Sauvage. J’ai réalisé le story-board, le trait et la mise en couleurs en environ deux ans et demi. Mais l’aventure avait commencé bien plus tôt, un soir de décembre 2010 où je suis tombée sur l’article de Wikipédia sur les enfants-loups et les quelques lignes concernant Marie-Angélique. J’ai ensuite proposé l’idée aux scénaristes qui ont été emballés par l’histoire. Par la suite ils m’ont livré le script que j’ai mis en images, en leur proposant parfois des corrections. J’ai l’impression d’avoir vécu avec  Marie-Angélique et sa compagne de façon quotidienne pendant toute cette période.

Sauvage
Une illustration de Sauvage empruntée dans une planche de la BD

Gaëlle : Votre travail a été total sur « La princesse aux pieds nus ». Vous avez réalisé toutes les animations et les interactions en ©Flash. Aviez-vous déjà accompli un tel travail ? Des expériences passées vous ont-elles aidées ?

J’ai déjà travaillé sur Flash dans mes différents postes dans le dessin animé, mais c’était  tourné vers le côté animation et non interactivité. Cela dit, je m’étais déjà penchée sur la question durant mes études aux Beaux-Arts. J’ai toujours été intéressée par l’objet « livre interactif », réfléchir à ce que peuvent apporter les animations ou interactions dans la narration. J’ai dû, pour ce livre, apprendre le langage Action Script 3 et j’ai été aidée par des amis.

Isabelle : Si Gaëlle nous a montré sa dextérité sur la question du numérique, avez-vous déjà publié des livres en numérique ? Quel rapport vos éditeurs ont-ils avec le numérique ?

Ce sera ma première parution numérique et je suis ravie ! J’aime beaucoup les illustrations de Gaëlle et tout ce que ce support offre aux enfants. De nouvelles possibilités de lire ! J’ai montré le livre web à ma fille qui l’a adoré.
Mes éditeurs « papier » ne développent pas pour l’instant le numérique. Je crois que c’est un support qui n’a de sens que s’il est enrichi. Or, ce n’est pas leur créneau. Un jour… peut-être !

Une dernière question que je vous pose à toutes les deux et qui fait largement débat. Les auteurs défilent pour la conservation de leurs droits. Il y a eu Montreuil, Angoulême. Ils ont promis de se manifester à Paris. Quelles sont vos réflexions et implications dans cette cause ?

Isabelle : Vaste question ! Je vis de ma plume. Je n’ai pas d’autre source de revenus. Et il faut bien dire que les temps sont durs. Toujours batailler pour toucher nos droits, réclamer des papiers… la liste est longue ! Oui, je suis solidaire ! Nous ne pouvons pas payer les frais d’une remise à plat du système de retraite. Nous sommes déjà à l’agonie. Les enfants s’étonnent toujours dans les écoles, quand je leur dis qu’on gagne moins d’un euro par livre vendu.
L’illusion est la même à d’autres niveaux de la chaîne du livre. Par exemple, les grandes enseignes qui nous invitent… à nos frais ! et sont persuadés de nous rendre un immense service, pensant qu’on reviendra de la journée de dédicaces, riches comme Crésus…

Gaëlle : J’ai manifesté à Angoulême lors de la marche des auteurs qui avait pour objet la réforme du RAAP. Prendre 8 % de nos revenus mensuels, c’est presque un mois de salaire et beaucoup d’auteurs ne peuvent juste pas se permettre de cotiser. Certes, c’est pour le futur, pour nos retraites, mais des fois, on a beaucoup de mal à assurer le quotidien, alors comment penser au futur dans ce cas-là ? J’essaie de me tenir informée le plus possible et de suivre l’affaire.

Un très grand merci à toutes les deux pour vos réponses et le très bel ouvrage, 34e du nom, que vous m’avez l’une et l’autre confié ! Je laisse le mot de la fin à Isabelle.

Pour conclure…
merci à La Souris Qui Raconte pour cette belle aventure numérique et longue vie à la « Princesse aux pieds nus » et à la liberté qu’elle incarne !

Rappel : les livres web de La Souris Qui Raconte sont lisibles sur tablettes avec un navigateur internet adapté type Photon.


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