19 | 12
2016

C’est Cathy Dutruch, première auteure de La Souris Qui Raconte si vous regardez la rubrique « LES AUTEURS » qui nous fait à tous un merveilleux cadeau. Elle nous offre un texte, rien de moins ! Un très beau texte « Et si moi je veux la lune ? » que je vous invite à découvrir plus bas. Mais avant tout, comment naît une idée et ce qu’on en fait quand on y adhère. Explications !

EtSiLaLune-5
Si vos rêves sont beaux, le sien est différent

Cathy : L’école de Corre est une école que je connais bien. J’ai mené un projet artistique de grande envergure l’an dernier avec deux écoles dont celle-ci, 98 élèves : projet d’écriture, théâtre d’ombres et danse. L’autre école était celle de Vauvillers.
Les classes concernées sont les classes de cycle 3, CE2-CM1 et CM2. J’avais proposé cette année de revenir dans l’école de Corre suite au projet des instits de cette année, qui consistait à étudier mes livres, surtout l’ouvrage « Que fait ce loup là ? » aux éditions Points de Suspension.
Je devais donc revenir en classe pour répondre aux questions des gamins, sur comment on fait un livre, comment on l’écrit, comment on est ou devient auteur, etc…
Ma venue étant programmée un peu avant Noël, j’ai également proposé la lecture d’un conte que j’avais écrit. Il se trouve que j’en avais prévu un autre, mais au dernier moment, j’ai pensé que celui-ci serait super à illustrer, pour un travail d’art plastique en classe.
Je leur ai donc expliqué comment l’illustration se pense. Qu’elle ne fait pas que illustrer, qu’elle explique ou donne même la solution au lecteur. Nous avons ensuite parlé de La Souris Qui Raconte. J’ai expliqué le livre numérique, le travail des illustrateurs, conteurs, éditeurs, etc… Expliquer comment ça fonctionne et pourquoi il n’existe pas que les livres papier, ce qu’apporte l’interactivité… Le boulot technique, la musique… Je leur ai dit que cette histoire je l’offrais à Françoise de La Souris Qui Raconte, mon éditrice préférée (sic).
J’ai pensé ensuite que ce serait chouette pour eux de participer, puisque cette histoire je l’offre à La Souris, mais également à tous les enfants du monde qui pourront la lire sur le site.
L’envie d’offrir ce que je sais faire, écrire ! Un geste, une envie de donner, parce que nous donnons si peu !
Et puis c’est aussi une dédicace personnelle pour mon petit-fils qui va naître d’ici quelques jours.
Alors tout cela fait que j’ai proposé aux enfants de l’école de participer. Nous avons parlé de tout. Du monde, de l’envie de réaliser des rêves ! Que nous avons tous le droit de demander la lune ou d’aller la décrocher. Que rêver d’un monde meilleur nous rend meilleur nous-même et que si nous vivons des époques terribles, nous devons nous saisir de ce que nous avons et nous accrocher aussi bien à notre terre, qu’à la lune rêvée !
J’ai dit aux enfants que les illustrations qui seraient sélectionnées, seraient récompensées. Je leur offrirai des livres, LSQR leur offrira des affiches et des marques-page, ils seront très heureux. Ce sont des enfants formidables !

C’est ce que m’écrivait Cathy au moment où grandissait son idée. Alors merci Cathy pour ce merveilleux texte qui est tellement dans les valeurs que LSQR défend. Amour, partage, tolérance… Merci aux enfants qui m’ont adressé leurs œuvres, toutes pleines de joie. Et même si je n’ai pas pu les présenter intégralement ici, chaque enfant créateur mérite d’être remercié personnellement.
Je vous dis ici toute mon admiration pour vos très belles images, et vous souhaite un très joyeux Noël !
Et si… Et si…

ET SI MOI, JE VEUX LA LUNE ?

C’était un bien étrange magasin, dans une bien curieuse ville.
Il n’était ouvert que le soir et pour cause, puisqu’on y trouvait des étoiles.
Sur des étagères, bien rangées, les étoiles s’amoncelaient, de la poussière cosmique aussi, que l’on pouvait toucher, de la fine poussière d’étoile qui brillait, de la poudre aux yeux pour les songes.
C’était cela le magasin, un étonnement, un exploit dans ce monde.

La cloche tinta, une petite fille entra.
– Petite Ourse, ou grande Ourse ? Demanda la femme aux cheveux longs.
Elle s’approcha de la vitrine où était rangée la constellation.
Nulle autre qu’elle n’aurait pu tenir cette boutique.
Sans doute parce qu’elle avait le regard de ceux qui reviennent de très loin, ceux qui ont beaucoup vécu, ainsi qu’un sourire à vous tordre le cœur. Ce sourire là ouvrait les portes du monde, était empreint de générosité, d’élan envers les autres.
– Petite Ourse, ou grande Ourse ? Répéta-t-elle encore une fois.
L’enfant répondit timidement, en ouvrant grand ses petites mains.
– Grande Ourse, Madame. Merci beaucoup.
L’enfant s’en fut, et la cloche de la porte d’entrée tinta aussitôt.
Un nouveau venu fît son entrée.

– Bonsoir ! Une Etoile Polaire, s’il vous plaît ! J’ai besoin de fraîcheur. De grands espaces et de quoi me repérer !
– En ce cas, prenez plutôt l’étoile du berger, suggéra la belle dame. On ne sait jamais, si vous vous perdez…
– Avant de choisir ma destination, je suivrai donc votre conseil !
Le jeune homme sourit, en emportant l’étoile dans son sac de voyage.

Il y avait les habitués de la boutique. Ceux qui chaque nuit, avaient besoin d’une étoile où habiter. Un rêve à abriter, une signature à emporter, un ailleurs qui brille, ou l’histoire d’un monde inconnu dont eux seuls parlent la langue. Il y avait aussi les clients de passage. Ceux qui, d’étoile en étoile, se répètent l’adresse, font une halte secrète, une petite soif de grands espaces et de voie lactée.

On ne payait jamais, c’était gratuit, même si on l’appelait le « magasin ». Qui aurait eu l’idée d’avoir inventé la monnaie pour toucher de près Orion, Véga ou l’Étoile du Chien ? Les constellations côte à côte étaient tout simplement gratuites, à prendre, à rapporter, à emporter, à déguster, à échanger, à contempler.
Il suffisait d’en sentir une, la humer, écouter son trajet, la regarder filer, et quand elle vous échappait, elle traçait dans la nuit un trait furieux, argenté qui vous rendait la liberté. Absente, elle vous accompagnait malgré tout.

Pourtant, cette nuit-là, toute à sa douceur, la dame brune vit entrer un garçon, fort maigrichon et agité. La cloche tinta, il salua et demanda tout droit :
– Et si moi, je veux la lune ?
S’il y avait d’autres personnes présentes, elles furent toutes très étonnées. Curieuses, inquiètes même, qu’allait-il se passer ?
– Nous n’avons pas la lune, ici, à proposer, répondit la dame embarrassée et elle jeta un coup d’œil furtif de tous côtés…
Le maigrichon repartit, et sa lèvre trembla, comme s’il allait se mettre à pleurer.

Une femme plus âgée, mit ses mains sur les hanches et ne put s’empêcher de commenter.
– Et puis quoi encore ? Il veut la lune ?
Mais la dame aux longs cheveux ne releva pas, elle continua à servir les uns et les autres, ceux qui sont déçus, ceux qui sont enthousiastes, ceux qui ne tiennent pas en place, ceux qui ne rêvent pas assez. Ils étaient si nombreux…
L’enfant si fin si menu revint le lendemain, dès la nuit tombée. Le magasin était bondé !
Il dit bonsoir, cet effronté et demanda :
– Et si moi, je veux la lune ? Qu’est ce que je fais ?
La belle dame des nuits d’Alpha du Centaure pencha la tête de côté.
Visiblement émue, bouleversée.
– Petit, pourquoi la lune ?
– Parce que. Et ce fut son unique réponse.

Encore une fois, les habitués s’exclamèrent, y allant de leurs commentaires.
– Mais parfois, nous-mêmes, nous contentons nous de lucioles, de vers luisants, les jours où le ciel est bien sombre !  Nous n’avons pas toujours une étoile à nous mettre sous la dent ! Et celui-là insiste et réclame la lune !

La dame si belle et si brune secoua ses longs cheveux. En regardant ses yeux, vous auriez pu y voir quelques paillettes, des soucis, un souvenir de mère.
Il était déjà reparti, le petit insolent.
Il y eut foule, le lendemain, je peux vous dire, afin de le croiser ce gosse incroyable ! De se moquer. Et même de le plaindre. Beaucoup s’étaient donné le mot et s’attendaient au pire. Il entra, comme si de rien n’était et à son air obstiné, la dame constata qu’en lui, rien depuis la première fois n’avait changé. Il dit bonsoir, comme à l’accoutumée, et tout de suite après :
– Et si moi, je veux la lune, s’il vous plaît ?
– Et si je n’ai pas la lune, à te donner ?
C’était un brouhaha, un concert d’exclamations. Des cris, de la colère. Une véritable manifestation.
– Il veut la lune, celui-là ! Il veut la lune ! Venez voir un enfant gâté !
C’est un caprice ! On n’a pas idée !

L’enfant repartit regardant droit devant lui.

Il y eut bien entendu le lendemain, une foule pressée, très énervée qui se précipita dans le magasin, au risque de tout renverser. Il y en avait partout des gens furieux, indécis, contrariés ! En rangs serrés, ils s’agglutinaient devant la porte d’entrée. Ils ne virent pas, du coup, l’enfant maigrichon et un peu affolé, qui tentait de se frayer un passage. Il y parvint, pourtant, et ce fut la surprise, lorsque la toute petite voix déclara.
– Et si moi, je veux la lune ?
Le silence se fit soudain autour de lui. Tout le monde regardait, sidéré. La belle brune sentit alors briller d’un coup toutes les étoiles invisibles à l’œil nu. Elle s’approcha de lui, et ouvrant grand les bras, elle la lui donna.

Oui, la lune, elle lui donna, vous avez tous bien entendu ! Énorme, ronde, belle, lumineuse et orange. Une lune entière et pleine, une lune de roi qui brillait dans ses mains d’enfant ! Le tumulte monta. Les protestations. Les cris. La jalousie. L’envie ! La foule déchaînée se mit à réclamer :
– Qui est-il, d’où vient-il ? Que se permet-il ? Incroyable !
L’enfant souriait en tenant dans ses bras comme un gros chat orange qui aurait commencé à ronronner. Une lune vivante, un bonheur évident. Dans la nuit très bruyante, les cris et les plaintes des autres, l’enfant quitta les lieux, les mains illuminées par cette grosse lune orange, qui prenait toute la place dans sa vie. Et la belle dame brune, qui le suivait des yeux, la dame aux cheveux longs serrés dans un filet doré, la belle dame brune d’Alpha du Centaure ou de la maison d’à côté leur expliqua à tous, les autres plein d’envie, ceci que vous devez écouter :

– La lune, il faut la demander, avant tout ! La vouloir pour de vrai, la désirer au fond du cœur, avec insistance et sincérité ! Il l’a fait, il est venu si petit, si menu, tout seul et au milieu de vous, pousser la porte du seul magasin de rêves du quartier… Et chaque jour vous l’avez regardé, de travers, en dessous, de côté, faire ce que vous n’auriez jamais osé. Vous l’avez entendu insister, me prier de la lui donner. Si vos rêves sont beaux, le sien est différent et que vous importe à vous qui voyagez et choisissez vos routes, la taille de son souhait ! C’est le sien, il grandit à l’intérieur et tout comme le vôtre il grandit dans son cœur.

Alors, s’il vous plaît, ne m’en veuillez pas.
Je suis allée lui décrocher.
La lune, la lune, je suis allée lui décrocher.
La dame en souriant se remit à ranger,
A épousseter,
A trier, à disposer…

C’était Noël cette nuit-là et lune ou pas, rien ne manquait dans le ciel.
Absolument rien…

Cathy Dutruch


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