© A.-S. GOUSSET

Les livres numériques jeunesse se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant le point de départ, c’est toujours le texte. Ensuite le style de l’illustrateur le personnalise. Et au bout du compte (conte) c’est ce que le jeune lecteur en fait qui prime !

Ce mois-ci, ce sont Marc Cantin et Anne-Sophie Gousset qui sont à l’honneur, portés par la voix de Brigitte Quinton. Et puisque dans toutes les histoires pour enfants de La Souris Qui Raconte, il est question de voix, la parole est donnée à nos deux protagonistes du moment.

LSQR : « Zila et le chevalier » est un conte écrit dans les règles de l’art du conte, avec une jolie morale. Il y est question de monstres en tout genre, d’un chevalier, d’une princesse et surtout d’une petite fille courageuse qui rêve d’étudier. D’où vous est venu l’inspiration de ce récit en particulier ? Et plus généralement quelles sont vos sources d’inspiration ?

Marc : En Bolivie, j’ai rencontré des enfants qui rêvaient d’étudier mais qui vivaient en pleine montagne. Pour poursuivre des études, c’était assez compliqué et ils devaient quitter leur famille, leur village et leurs amis. Quant à l’inspiration en général, elle me vient de la vie, de mes expériences et de celles des autres.

LSQR : De votre côté Anne-Sophie, avez-vous eu des difficultés à mettre en image le texte de Marc ou bien les personnages vous sont apparus facilement ? Racontez-nous comment vous travaillez.

Anne-Sophie : Les personnages me sont effectivement venus assez rapidement, je visualisais bien Zila comme une petite fille dégourdie, un « peu garçon manqué » et le chevalier benêt, grand, nonchalant. Le reste est venu un peu malgré moi, l’humour que j’ai mis dans les images est sans conteste directement influencé par le texte. Plus généralement, je dois avouer que je travaille de façon assez désordonnée car les idées me viennent au fur et à mesure. Je suis encore beaucoup dans l’expérimentation, je cherche des matières, des gammes colorées, … pour donner du caractère à l’image. Et je reviens dessus tant que je ne suis pas satisfaite.

LSQR : Marc, vous êtes un auteur engagé, investi d’un regard très altruiste sur le monde, pour preuve, deux de vos titres entre autres traitent de sujets dont l’action se passe en Amérique du Sud, L’enfant des rues et Les gamins des Andes, pouvez-vous nous parler de cette facette de votre personnage ?

M. : J’ai la chance de pouvoir participer à de magnifiques projets dans des pays où les problèmes matériels sont nombreux. J’y rencontre des gens exceptionnels et ce sont eux qui m’aident à garder les pieds sur LA Terre et à conserver une vision humaniste de notre monde.

LSQR : Anne-Sophie, la petite Zila est vraiment craquante. En visitant un peu votre site, je me rends compte que vous avez un univers bien à vous (ce qui est souvent le cas pour un illustrateur), et Zila ressemble à vos personnages ? Parlez-nous de vous en tant qu’illustratrice, vos inspirations, vos goûts, avez-vous un « mentor » ?

A.-S. : Je n’ai pas de mentor à proprement parler, il y a de nombreux illustrateurs que j’admire bien entendu, mais je ne sais pas si cela influence mon travail.
Pour Zila et le chevalier, l’histoire se passe pour une bonne partie dans la forêt, je me suis donc intéressée aux livres qui traitent de ça, et puis finalement, c’est le dessin animé du tchèque Taupek « La petite taupe » qui m’a le plus inspiré pour l’ambiance, la palette de couleur de la végétation. Je travaille à la craie grasse, j’aime la matière que cela donne, j’aime pouvoir venir gratter dedans, jouer avec les différentes couches,  les mélanges involontaires …
Pour ce travail, il y a une vraie différence de technique entre le décor et les personnages, ce que j’ai eu un peu de mal à apprécier au début. J’ai essayé d’en faire un atout au fur et à mesure. Pour ce qui est de mes inspirations, en illustration Anne Herbauts, Claude Ponti et en dessin animé, Taupek,  Frédéric Back, pour ne citer que ceux-là !
Ma culture de l’image est plutôt liée au dessin animé avant de m’intéresser au livre jeunesse. Mais je ne suis pas une très bonne animatrice !

LSQR : Ah bon ! Vous vous en sortez très bien avec Zila pourtant ! Marc, sur votre blog, où je me suis aussi promenée, vous nous dites (je vous cite) :
La qualité du récit, c’est autre chose. C’est le privilège du lecteur d’en juger !
L’éditeur, lui, s’attachera à la compréhension, à la capacité technique du récit à être compris et lu par un enfant de tel ou tel âge…
Bref, ne cherchez pas chez l’éditeur une reconnaissance universelle qualitative et artistique qu’il ne peut vous donner. Seul le lecteur a ce pouvoir et ce droit de dire simplement : J’aime ou j’aime pas.
C’est diaboliquement vrai comme analyse ! Du coup je m’interroge, avez-vous eu en tant qu’auteur, des titres qui n’ont pas été couronné du succès attendu par l’éditeur ?

M. : Nous n’avons jamais connu de grandes catastrophes, heureusement ! Mais nous pensions par exemple que le roman « Sexy Story » , qui aborde les dangers de la pornographie, remporterait un plus large succès, plus immédiat, plus populaire. Cela n’a pas été le cas et il s’est plutôt inscrit dans la durée comme un livre thématique.

LSQR : Et a contrario, avez-vous un titre qui aurait créé la surprise ?

M. : Oui. L’inverse est également vrai. Nous avons sorti certains livres en nous disant qu’ils ne rencontreraient pas un large succès mais qu’ils devaient exister et participer à une nécessaire diversité… et nous nous sommes trompés (« Moi Félix, 10 ans, sans-papier » ou « Une ado en prison », par exemple).

LSQR : Quel est votre rapport au numérique, aujourd’hui et dans les années à venir ?

M. : Plus il y a de portes d’entrée vers les histoires, meilleures seront les chances d’amener les enfants à la lecture, et donc de communiquer avec eux par l’intermédiaire de leur imaginaire. Peu importe le support, il n’y a toujours que 26 lettres qui, comme par magie, donnent naissance à des personnages et des univers.
Chantée, lue ou contée, sur du papier, sur un écran, sur une pierre ou même sur le sable, une histoire est toujours une histoire. C’est ce goût du récit qu’il faut promouvoir, pour le plaisir qu’il procure, l’expérience qu’il apporte et les sentiments qu’il développe en nous.

A.-S. : A ce jour, je n’ai travaillé quasiment que pour du support numérique. Cet univers me fascine par les multiples possibilités que cela ouvre. J’avais aussi la volonté de me démarquer des illustrateurs classiques en surfant sur cette vague du numérique qui fait parfois un peu peur. Je voulais garder un pied dans le traditionnel tout en m’ouvrant à de nouveaux média.
Dans les années à venir, j’aimerais continuer dans le numérique, mais revenir à du développement de produits plus « ludiques », poussé plus loin. C’est un peu ce que propose LSQR avec ces histoires à inventer. Travailler dans ce qu’on appelle aujourd’hui le « cross média » qui décline un même univers sur différents support (dessin animé, jeu vidéo, bande dessinée, livre et pourquoi pas livre numérique). Il y beaucoup à faire, à inventer, un champ à explorer.
J’aimerais bien aussi être auteur de mes propres projets numériques et ne pas rester enfermée dans le domaine jeunesse… en fait je veux explorer !

LSQR : Vos retours sont vraiment enrichissants et abondent finalement dans le sens de LSQR, j’en suis heureuse. Vos deux visions apportent un regard très positif sur le numérique. Zila et le chevalier était-elle votre première participation 100% numérique ?

M. : Oui. Une autre est en préparation sous une forme plus traditionnelle.

A.-S. : Je débute ma carrière donc je n’ai pas eu encore beaucoup l’occasion de travailler pour des éditeurs. J’ai vendu cette année un concept de jeu vidéo/livre interactif, appelons cela comme ça, à un producteur parisien avec qui je travaille à la réécriture et au développement graphique du produit. Il devrait sortir sur le marché en fin d’année.
Etant donné que ce projet n’est pas encore développé entièrement, on peut dire que Zila et le chevalier, si elle n’est pas la première œuvre que je pense entièrement en numérique, est la première que j’édite, et j’en suis ravie.

LSQR : Une dernière question, pourquoi avez-vous accepté de me confier ce titre et de l’illustrer ?

M. : Justement parce qu’il ne s’agit pas de la transposition d’un livre papier en ouvrage numérique. C’est quelque chose de nouveau. Réellement une autre façon de lire et d’aborder le récit… Qui peut aussi permettre à des enfants en difficulté de franchir le pas de la lecture.

A.-S. : Quand j’ai rencontré Françoise, ce type de média commençait à voir le jour (il n’y a pas si longtemps pourtant, mais tout va si vite aujourd’hui !). Cela correspondait à mes attentes professionnelles d’une part, et d’autre part j’ai été séduite par l’ambition et la motivation de Françoise. Les sujets des histoires abordés par LSQR sont très intéressants, on ne prend pas les enfants pour des imbéciles et c’est ce que j’apprécie !

LSQR : Un grand merci à tous les deux pour votre participation, passionnée et passionnante !


Commentaire sur

  1. Ce livre est GÉNIAL !
    Il permet de comprendre que même différent nous avons quelque chose à apporter à tous, que la solidarité et l’espoir font faire de grandes choses, et que l’astuce et l’ingéniosité permettent de déplacer des montagnes.
    Avec ce texte qui prône l’accès à la culture et à l’éducation pour tous Marc Cantin signe ici une histoire de grande épopée pour les enfants ! Ou comment s’amuser de drôles de situations pour parler du savoir et de l’apprentissage…avec les enfants.
    Anne-Sophie Gousset nous montre un univers chaleureux, drôle et formidablement bien dessiné en nous entraînant dans son univers de rêves et d’aventures passionnantes !
    Brigitte Quinton lit cette histoire avec humour et pitreries et merci à elle de donner la touche finale à ce texte.

    Bravo à ‘La souris qui raconte’ pour ce livre que je conseille aux enfants de 2 à 99 ans !

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