02 | 10
2012

Pourquoi écrirais-je mon article aujourd’hui plutôt qu’hier ou que demain ? C’est quoi l’élément déclencheur ?
Une profonde lassitude associée à une envie de tout laisser tomber ? Mais ça, c’est le lot de tout entrepreneur, ça va ça vient ! L’envie de recueillir un peu de soutien alors ? De lire ou m’entendre dire, continue p’tite Souris … Continue à raconter ! Ça va l’faire ! …

Vous souvenez-vous de mon coup de gueule de l’année dernière ? Je vous racontais l’histoire de mon petit extra terrestre en proie au marché de l’App Store ! Cet article je l’écrivais le 27 mars 2012. 6 mois plus tard, et surtout 4 applications plus loin, le constat que je partageais avec vous n’a pas beaucoup évolué. Dans l’intervalle j’ai beaucoup appris, essayé plusieurs leviers, détecté ceux qui marchent au détriment de ceux qui coûtent. Entendez par là qu’un levier, s’il vous fait dépenser de l’argent sans vous en faire gagner n’est pas un bon levier ! Et là j’en arrive au gratuit… à ma lassitude et mon envie de m’épancher !

Apple dans son fonctionnement (algorithme très mystérieux) favorise l’exploitation du gratuit, laquelle est terriblement perverse et plombe gravement un marché déjà très hostile ! Reprenons l’exemple d’Antiproblemus. Celui-ci appartient à La Souris Qui Raconte, je peux donc vous en parler en toute connaissance de cause ! Le dimanche 18 mars 2012 dépitée par le mauvais positionnement de mon application dans l’AppStore, je cède à l’appel de la gratuité. Ceux qui ont lu l’article savent que cette opération a généré plus de 18 000 téléchargements en 24 heures. Pour autant, quelques jours plus tard, mon petit extra terrestre se retrouve en 220e place comme de rien. Aujourd’hui, il se maintient gentiment entre la 35e et la 80e place (alors que je n’en vends pas 10 par semaine, incompréhensible algorithme). Une position qui n’est pas si mauvaise au regard des 993 applications payantes référencées dans la catégorie « Livres » et des 400 000 apps qui ne seront jamais téléchargées (suivez le lien, c’est vraiment intéressant) !

Il est très regrettable qu’Apple comptabilise les téléchargements sans considération du CA généré, poussant ainsi l’exploitation de ce levier, dont je continue de me demander à qui il profite ? Certainement pas à ce marché qui se cherche. Pas plus qu’au modèle économique qui aujourd’hui n’existe pas. Pour être vu et acheté, il faut être bien positionné. Pour être bien positionné, il faut être téléchargé. Pour être téléchargé, le modèle de gratuité s’impose ! Et la marmotte pendant ce temps ? Qu’est-ce qu’elle fait la marmotte ?
Essayons d’aligner quelques chiffres que je  simplifie à dessein. Le coût moyen de développement d’une application pas trop complexe est compris entre 10 000 et 20 000€. Une application est vendue entre 0,79 et 3,99€ (plus cher, ça devient très compliqué). Si on part sur un coût de développement de 15 000€ et d’un prix de vente à 2,39€ (1,45€ déductions faites de la TVA et de la com Apple) vous commencez à gagner de l’argent après 10 300 et quelque téléchargements. Arglll ! « La sorcière sans nom » application pourtant très bien positionnée depuis sa sortie mi juillet, n’a été téléchargée que 11 000 fois pendant les 2 premiers mois de son exploitation si j’en crois Europa Apps ! Elle est également lisible sur iPhone et iPad, un atout supplémentaire.

La lecture numérique n’est pas encore entrée dans les usages. Notamment ceux des enfants, enfin ceux des parents d’enfants. Prenez le temps de voir par vous-même le résultat du sondage sur les pratiques numériques familiales réalisée par Orange et Terrafemina (seulement 38% des parents possesseurs de tablette ont déjà acheté une application pour un enfant de moins de 12 ans —dont 11%, 1 seule fois— ! Quand ensuite on interroge le parent sur le type d’application achetée, celles racontant une histoire tombe à 36%. Je ne suis pas très douée avec les pourcentages, mais la part du gâteau se réduit comme peau de chagrin ! ).
Bien sûr les usages se travaillent ! Il faut bien composer avec ! Le numérique est là, partout dans notre vie !
Le marché des tablettes n’est vieux que d’à peine 3 ans. Comme sur le modèle de leurs petits frères de moindre résolution, vous y trouvez du gratuit et du payant. Trop de développpeurs d’applications pour tablettes ont voulu reproduire le modèle qui a fait la fortune de certains sur Smartphone. Pourquoi ce qui avait marché pour les petits, ne marcherait pour les grands ? Quel éditeur de contenus littéraires à aujourd’hui fait fortune avec des applications iPad ? Je pense à des starts-up comme « Moving Tale » ou de très beaux livres comme Morris Lessmore ou  The Heart and the bottle, qui sont des must à mes yeux ! Combien de ventes ont été générées sur ces titres (les intéressés éludent la question) ?

Les livres édités par La Souris Qui Raconte et portés sur tablettes iPad et Android en bilingue français/anglais doivent trouver leur place sur ces marchés difficiles. Est-ce possible ? En tant qu’éditeur travaillant avec des auteurs et illustrateurs rémunérés aussi en droits d’auteur, je refuse de brader à zéro le travail de toute une équipe et dis haut et fort que le gratuit, en plus de gangréner l’offre, entrave le marché. Il sclérose un modèle économique incertain. Dès lors qu’une offre alternative gratuite est possible, dès lors que le client est informé, pourquoi se priverait-il d’attendre le « bon plan ». Et le plus drôle (façon de parler bien sûr) c’est qu’il s’agit d’économiser quelques euros !

Donc voilà, nous en sommes là. Nous éditons des livres. Nous leur attribuons un prix (extrêmement bas si l’on compare avec le livre papier) et comme il est difficile de les vendre, nous les passons gratuit. Ben voyons, c’est vrai quoi !
C’est aussi ce que fait mon boulanger lorsqu’il ne vend pas son pain !
Pas le vôtre… ? Changez de boulangerie alors ! Non sérieusement… ne trouvez-vous pas cette logique parfaitement crapuleuse ?
L’App Store est le premier (peut-être même le seul) magasin au monde où le « taulier » se fout de satisfaire son client. Lequel client, je le rappelle, n’est pas l’acheteur final, mais bien l’éditeur qui alimente en contenus sa boutique, et lui lâche au passage 30% sur chaque vente. Alors quand je lis que le marché du numérique (je parle bien depuis le début du marché des applications-livres) ne décolle pas, que les éditeurs en ont marre de dépenser des fortunes pour vendre gratis des produits de qualité, comment pourrait-il en être autrement ? Que faut-il faire pour sortir de cette spirale infernale, est-ce seulement possible ?

Si vous avez des idées… je les prends, gratis bien sûr !


14 Commentaires sur “Gratuit… et après ?

  1. Que faut-il faire, Françoise? Ne pas faire des applications-lire et de te concentrer sur le fichier ePub plus ouvert, moins onéreux et interopérable sur toutes les liseuses et les tablettes.

  2. Merci de partager votre expérience Françoise. La gratuité n’est assurément pas la solution, tous les éditeurs numériques qui l’ont testé en sont largement revenus. Mais à mesure que le marché va s’étendre, que les utilisateurs vont rejoindre les Store – et que les tablettes se démocratisent -, j’ai bien peur que les prix aient tendance à être nivelés par le bas pour la plupart des produits… La concurrence quantitative des applications a naturellement tendance à les tirer vers bas.

    Les seuls qui peuvent espérer s’élever sont ceux qui vont faire un produit pas cher et ceux qui vont miser sur la qualité (offrir une expérience différente) et disponibles à l’internationale (développement en anglais – ainsi que sur d’autres plateformes, notamment Androïd, mais aussi développement spécifique iPhone, etc. (le but : élargir l’assise de lecteurs potentiels). Donc en fait, cela consiste à investir plus fort en développement… sans être sûr d’un retour sur investissement. 🙁

    Autres solutions, pour l’instant inexistantes : imaginer d’autres canaux de financements, en misant sur les partenariats ou sur d’autres plateformes encore (le web ?). En fait, la seule idée est de multiplier les formes de financement possible autour d’un même contenu. Apple ne sera jamais la solution unique et ultime…

  3. Merci Hubert pour votre commentaire.
    « En fait, la seule idée est de multiplier les formes de financement possible autour d’un même contenu »
    Je m’y emploie, j’essaie du moins ! Cele demande bcp d’énergie, ce dont je ne manque pas. Du temps aussi, et là il commence à se raccourcir.
    J.F. est un petit malin… hein mon copain ?

  4. Je ne suis pas éditeur, ni auteur, ni quoi que ce soit d’autre qu’un lecteur curieux qui s’intéresse à tout ça, et se fait une opinion par procuration en consultant blogs et forums divers et variés.

    Alors, si je dis des âneries, n’hésitez pas à me contredire et m’envoyer paître, je n’ai en tant que lecteur, aucune légitimité de « ce » côté de l’édition.

    De même si par hasard je dis des trucs offensants, mettez ça sur le compte de mon « inculture » et non pas d’une quelconque mauvaise volonté.

    Après ce préambule, voilà donc le « corps » de mon intervention:

    Le gratuit est un outil marketing. Ni plus, ni moins. Il y a des situations où cet outil permet d’atteindre des objectifs, et d’autres où il n’aura pas d’effets, voir un effet négatif. Si on vous l’a vendu comme Panacée universelle, on vous a trompé.

    Qui plus est, cet outil ne fonctionne que de manière aléatoire, en fonction d’un tas de paramètres en dehors de votre contrôle, dont le premier est la réaction des lecteurs. Même un livre « parfait » peut-être mal reçu par les lecteurs, almors qu’un livre « médiocre » peut obtenir plus de succès comercial (toutes autres considérations mises à part).

    Enfin, il est tout à fait possible que pour le marché des livre-applications, et notemment sur l’Apple-Store, cet outil ne fonctionne pour ainsi-dire jamais.

    Par contre, et après ces « pseudo-évidences », et c’est là que je suis sans doute être présomptueux, considérer cet outils marketing comme autre chose que celà, et le rapporter à l’affect et au travail revient à considérer que les produits pour lesquels ont voit des publicités dans les médias valent en fait moins que rien, puisque le vendeur PAIE pour les faire connaitre.

    Par contre, je vous ferait remarquer un truc : le gratuit vous en faites sur le site : tous les 1ers épisodes sont gratuts, et c’est grâce à ça que ma fille a fait son choix ce WE.

    Je ne sais pas comment fonctionne l’Apple Store, et si vous décomposez aussi les applications en plusieurs morceaux, mais une idée serait justement de proposer par exemple une « méta application » gratuite, comprenant par exemple l’ensemble des « débuts » d’histoires, afin de présenter le catalogue aux enfants (et leurs parents).

    Autre possibilité (correspondant pas mal à ce que fait Numeriklivres (salut JF)) : ajouter à la fin de chaque application ou en bonus, mais bien séparé, le premier chapitre d’une ou plusieurs autres.

  5. Merci pour vos conseils SFReader 😉 j’apprécie any way !
    Qu’une société comme Apple incite au gratuit par des algorithmes dont elle a le secret est très énervant. Le modèle du gratuit est un leurre, je le dis depuis assez longtemps. Avec les extraits j’offre un service (le même sur l’appstore en effet), en vue d’une transformation. Vous pouvez feuilleter un livre en librairie. Il est donc normal de pouvoir feuilleter un livre numérique également.

  6. Justement, le prendre pour un « modèle » est un leurre, bien évidemment. Ca n’est pas, et ne peut pas être un modèle.

    Par contre, le disqualifier de toute utilité est aussi aberrant. Par exemple, et dans certains cas (peut-être pas applicable pour les livre-applications pour la jeunesse), mettre en gratuit le premier livre d’une série ou une collection (sans bien entendu en attendre un quelconque revenu direct) est un moyen d’attirer l’attention sur les autres titres de cette série/collection.

    Il faut bien entendu mesurer l’efficacité de cette solution promotionnelle en comparant les ventes de la collection dans son ensemble(et non pas du titre gratuit) avec ou sans.

    Le Waldgänger (en ebook) par exemple a très bien fonctionné je crois, avec le premier épisode en locomotive de l’ensemble de la série. Mais c’est en ebook, et pour ado/adultes.

  7. Notre atelier pédagogique édite de minuscules livres numériques intitulés Moulins à paroles (m@p), et il les distribue gratuitement, il autorise même les modifications, ces m@p correspondant en cela à la définition des Ressources Éducatives Libres promues par l’UNESCO. Notre modèle économique consiste à vendre des services liés à l’usage de ces m@p, de la formation, de l’animation, et cela marche plutôt bien. Nous ne vendons pas des contenus mais de l’attention (du temps de lire, que nous prolongeons, approfondissons de plusieurs manières). Quand nous publions un poème écrit par un auteur contemporain, nous demandons l’autorisation et nous payons des droits à l’éditeur. Et nous serions prêts à payer des droits pour faire des m@p à partir d’albums conçus pour le tout jeune public. Nous en manquons. En somme, nous avons besoin de pouvoir travailler avec des éditeurs qui ne dédaignent pas notre offre, ni notre modèle. Et nous serions ravis de travailler avec vous…

  8. Je viens justement de télécharger deux de vos livres pour ma fille et j’avoue que j’ai d’abord choisi les gratuits pour voir de quoi il s’agissait. Je ne crois pas que tout soit a jeter dans le gratuit – en tant qu’editrice j’aimerais beaucoup en proposer car certains titres, trop bon marché ne rapportent absolument rien avec les frais (notamment Amazon ou paypal)- mais nous nous refrenons car nous ne voulons pas devaloriser le travail effectué. Cela dit pour votre notoriété je pense que ca joue en votre faveur.
    JF, l’epub c’est vraiment plus simple, mais les enfants- surtout s’ils ne savent pas lire – sont vraiment a la recherche d’interactivite.
    continuez! et essayez de viser les publics anglo saxons ou les devoirs ne se font plus qu’en ligne et ou les enfants de 7 ans viennent au centre aéré muni de leur ipad!
    ps. message ecrit sur telephone, veuillez excuser les eventuelles coquilles.

  9. @ Christian, nous avions déjà évoqué cette possibilité à l’occasion du Bookcamp l’année dernière. Je vous avais même adressé le texte de Polo le Clodo si ma mémoire est bonne. Je suis toujours aussi motivée.
    @Emue, je ne dis pas que tout est à jeter dans le gratuit, nous en faisons justement pour que les lecteurs se rendent compte avant d’acheter. D’ailleurs, avez-vous transformez ? 😉
    Et je partage évidemment votre avis sur l’epub, bien que certains commencent à être de très belle qualité (Zarafa, L’herbier des fées, même Moving Tale s’y met). Quant au public anglo saxon, nos titres sont tous traduits. Mais il faut avoir le bras encore plus long lorsque vous voulez toucher des pays autres que le vôtre.

    Dans tous les cas, je vous remercie tous du fond du cœur.

  10. Je partage entièrement vos analyses. Les applications mal classées sont noyées dans le flot, l’App Store n’est satisfaisant ni pour les éditeurs, ni pour les acheteurs.Et ne permet pas de construire un modèle économique lié à la vente de produits. Je ne sais si l’epub est une solution. Il permet certes de réduire les coûts de production mais les prix de vente, très bas de toute façon, permettent-ils d’atteindre le point mort à partir d’un nombre de ventes raisonnable ? Permettent-ils un véritable développement économique ? La diffusion reste pour moi le nœud du problème. Il y a des prescripteurs proposant aux parents de les guider vers des applications jeunesse estimées « de qualité », mais pas de diffuseur autre que l’App Store. Il n’existe pas de plate-forme spécialisée dans la jeunesse – à l’instar d’une librairie physique, même si le modèle n’est pas applicable sur le web –, offrant un catalogue organisé, un classement thématique, du conseil et autres services. En résumé, un maillon de transmission des applications, des éditeurs vers les acheteurs. Restent deux problème de taille : le modèle économique (sans partenaires financiers cela semble extrêmement ambitieux), le marché (est-il demandeur à l’heure actuelle ?). S’il y a des amateurs, la question m’intéresse…

  11. Merci Juliette pour votre retour. Les deux problèmes de taille dont vous parlez sont en effet ceux qui se posent à moi quotidiennement. Le marché français est extrêmement frileux (manque cruellement de maturité) et comme l’esprit d’entreprise (en France) est assez mal soutenu, c’est terriblement compliqué.

  12. Bonjour,
    Je dirige une société développeuse et éditrice d’app gratuites (et non pas de livres).
    Merci pour cet article très intéressant!

    J’aimerais revenir sur une méconception fréquente et que je retrouve dans les commentaires :

    Le gratuit *n’est pas* qu’un outil marketing.

    En tout cas pas dans mon domaine, le jeu vidéo. Le modèle économique du « free-to-play » permet à vos plus grands fans de dépenser autant qu’ils le souhaitent (1, 10, 100€… ) dans votre application -quand l’app est bien conçue. Ce phénomène tire les revenus et la rentabilité des apps gratuites vers le haut : un tout petit nombre d’utilisateurs qui dépensent beaucoup plus que les autres.

    Ce modèle n’a pas encore été adapté au livre numérique avec succès, à ma connaissance. Je pense que ce n’est pas impossible, mais cela ne marcherait sans doute que pour des publications spécialement conçues pour ce modèle, comme c’est le cas dans le jeu vidéo. Peut-être un format différent du livre « classique », plus court mais plus accrocheur, peut-être une distribution épisodique à la manière du romain feuilleton? exemple : possibilité de lire le chapitre suivant dans 24h, ou de payer pour le lire immédiatement.

    Je vous invite à lire l’excellent blog http://www.gamesbrief.com (en anglais), qui traite occasionnellement également de l’édition de livres numériques.

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