Alors que le festival d’Angoulême vient de fermer ses portes, je garderai de l’édition 2016, deux informations majeures. La polémique autour du choix « trop masculin » du Grand Prix de la Ville (que je n’aborderai pas ici, étant beaucoup trop éloignée du festival et de la profession) et la sortie d’une œuvre OVNI « Phallaina » !… Mon coup de cœur de ce début d’année.
Créé par Marietta Ren (scénariste, auteure et illustratrice) « Phallaina » est l’histoire d’une jeune femme, Audrey Desmazières, sujette à des hallucinations. Ses troubles, pendant lesquels elle ne voit rien moins que d’énormes baleines, seraient dus à une anomalie rare dans le cerveau, un physeter (le mot scientifique pour cachalot), qui lui permet de rester pendant une quinzaine de minutes en apnée. Elle va donc participer à des essais cliniques pour valider la cause de son mal, et vérifier les liens entre son physeter et son aptitude apnéique ! Au-delà d’une application pour iOS et Android, « Phallaina » est aussi une fresque physique, visuelle et sonore, de 115 mètres de long, installée en surplomb de la Charente.
La réalisation de l’application est magistrale. La BD, qui s’affranchit ici des cases qui la caractérisent, est présentée sous la forme d’une bande défilée (sic), dont la lecture se fait en scrollant sur l’équivalent de 1600 écrans iPad (cf ActuaLitté, où vous pourrez découvrir le dossier de presse complet) ! En noir et blanc, les illustrations parfaitement maîtrisées sont sans interaction si ce n’est le scrolling. Des animations délicates (et très bien faites) se déclenchent aux moments des crises d’Audrey, lorsque qu’elle « voit » ces animaux marins qui hantent son subconscient. C’est aussi le scrolling qui impulse les mouvements des poissons ou des cachalots.
Bien que la narration littéraire ne soit pas très longue (le talent est ailleurs), la lecture de l’application demande au minimum une heure. Je l’ai lu deux fois… La première, goulûment, avec une curiosité un peu jalouse. La deuxième, plus posée, a privilégié le texte et la mythologie, tout en me régalant à nouveau des effets graphiques dont l’œuvre est parsemée, l’univers audio enrichissant l’expérience.
Je ne suis pas une adepte de BD. C’est un univers que je découvre sur le tard (question d’éducation), mais de très belles choses existent dans ce format, et le travail de Marietta est d’une grande sensibilité. Je ne résiste pas à vous montrer quelques scènes dont le découpage scénique, qui, dans une BD classique aurait été enfermé dans des cases, se déroule linéairement avec une maîtrise parfaite donnant tout son sens à l’enchaînement des événements.
Cette application gratuite est une coédition Small Bang et France Télévisions.
En tant qu’éditrice de contenus, je ne peux m’empêcher de me poser la question de sa « valeur » . Qui a payé quoi ? Gratuite car ce n’est pas le public (enthousiaste avec déjà plus de 79 notes en 4 jours) qui met la main au porte-monnaie. Même si l’œuvre a été soutenue par le CNC, le générique de fin de l’application comptabilise une véritable équipe de production, concepteur et designers sonores, assistants réalisateurs, développeur… bref… beaucoup de monde ! « Phallaina » a sûrement demandé beaucoup de temps : humain, intellectuel, conceptuel… je doute que tout cela n’ait rien coûté ! alors comment font-ils ? quel modèle ? … et quel avenir pour les petits aventuriers-éditeurs que nous sommes ? Alors que des amis déposent les armes (pensée émue pour Audois et Alleuil qui annonçait hier sur sa page Facebook, la cessation de sa maison et à qui l’on doit « La princesse aux petits prouts » et « SOS dino en détresse » pour ne citer que ces deux-là), les majors de production mettent sur le marché des œuvres gratuites, d’une valeur bien supérieure à ce que nous ne pourrons jamais nous autoriser et cela ne nous aide pas. Mais ça, je veux bien croire que FTV n’en ait absolument rien à faire !