Le très bel article publié sur le blog de Walrus m’a inspiré ce commentaire via le blog de La Souris Qui Raconte.
Bien que nos deux secteurs d’activités soient très éloignés, il n’en reste pas moins que nous sommes tous deux des éditeurs « pure-player » , et, si je suis tristement d’accord avec ce qu’on y lit, je ne suis pas d’accord sur le « si cela ne fonctionne pas, c’est que nous n’allons pas dans le bon sens » !

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D’abord c’est quoi le bon sens ? Une direction bien sûr, une bonne direction. Mais c’est aussi ce que Descartes nous en dit dans son Discours de la méthode :
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup d’avantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent. »
Et si nous avions, vous et moi, cette clairvoyance ? Si nous étions ceux qui marchent fort lentement ? Et si nous voyions comme une évidence ce qui ne l’est pas, parce que nous ne sommes pas aveuglés par une obligation de rentabilité immédiate ? Si nous n’empruntons pas la trajectoire bien tracée que le troupeau éditorial encombre, c’est que nous sommes mus par une conviction qui, si elle n’est pas lucrative, nous fait combattant chaque matin, nous laissant nos libertés d’action et de choix, au-delà des luttes intestines de pouvoir des maisons bien installées. Ce que nous faisons, nous le faisons parce que depuis le début nous y croyons. Croire, c’est avoir la foi, une morsure constante aux tripes qui nous fait avancer fièrement. Mais demandons-nous si ce à quoi nous croyons fait l’affaire du marché éditorial bien rodé, dont la prise de risque se résume, majoritairement, à miser sur de l’ultra « bankable » ?  Comment aurait évolué le livre numérique dont vous parlez, si des grandes maisons s’y étaient durablement intéressées ? Certaines s’y sont risquées (peu), reconnaissons-leur cette audace, mais le manque de succès immédiat les en a rapidement détournées. Or entre 2010 et 2017, sept petites années se sont écoulées, alors que l’édition a émergé au XVIIIe siècle, notre métier « pure-player » reste encore tellement jeune !

Si j’ai en mémoire quelques exemples de livres numériques à ressortir de mes chroniques de blog : Le dernier Gaulois ou encore Phallaina produits tous les deux par France Télévision et proposés en consultation gratuite, force est de constater qu’ils ne sont pas légion, et en cela votre route est encore longue. Les deux œuvres embrassent vos convictions. Pas de page, et du scrolling horizontal ou vertical. Mais ne trouvez-vous pas qu’elles n’en restent pas moins du livre ? Un objet de narration qui permet l’évasion, affûte l’imaginaire et nourrit notre esprit ?
Ce n’est pas parce que nous avons appelé le livre numérique du même nom que le papier que celui-ci tarde à émerger. Une maison d’édition papier se distingue d’une autre, et pourtant elles produisent toutes deux du livre. Nous n’avons rien reproduit ! J’aime à croire que vos livres sont uniques et qu’ils ont le goût et l’appartenance de votre maison. Tout reprendre depuis le début laisse entendre que vous avez fait fausse route. Est-ce vous, vraiment ? Ou est-ce le marché vicié par l’oligopole éditorial du papier ? Vous avez fait des expériences audacieuses et courageuses. Continuez devant, explorez, défrichez, mais ne reprenez pas depuis le début, vous auriez perdu 7 ans.

 


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